Tout débute en février 2022 lorsque je commence à choisir et “peaufiner” ma tenue de mariage, ayant lieu en juin de la même année. Un costume croisé en tissu bleu Serge & Solana de Holland & Sherry allait m’habiller pour le grand jour et des mocassins à pampilles noir Alden engloberaient mes pieds. Mais qu’en était-il de la cravate ? Mon témoin me proposa de m’offrir une cravate Charvet. Quelle élégance ! Nous allions goûter au charme de la boutique de la place Vendôme, son air allait m’envouter…Le choix gargantuesque d’accessoires et d’étoffes à nouer autour du cou n’allait pas être chose aisé tellement les couleurs et motifs étaient plus magnifiques les uns des autres. Une cravate en soie bleu à motifs carrés aux contours oranges subtiles allaient être ma favorite. C’est ainsi qu’une histoire d’amour insoupçonnée était née. Ma panoplie de cravates grandissant - et chanceux de pouvoir en porter au travail par plaisir - ma soif de nouvelles étoffes Charvet allait de paire. Mais ces beautés ont un coût. La seconde main, comme souvent, était la solution la plus raisonnable et un coup sûr.
Internet offre des plaisirs - et tourmentes - inlassables quant à la quête d’un vêtement de seconde main: (re)trouver une pièce oubliée, déconsidérée et la porter à nouveau, quel plaisir ! C’est ainsi que sur une fameuse plateforme Lithuanienne - il n’y en a qu’une ! - je pu asseoir ma soif de cravates Charvet. Dans cette savane, la boutique Au Drôle de Zèbre était mon oasis. Une cravate Charvet en excellent état pour moins de 50 € ? La voici désormais dans mon dressing.
Je me demandais qui était derrière cette boutique de seconde main au nom me rappelant les enseignes parisiennes de marchands merciers du XVIIIème siècle. J’allais faire la connaissance de Grégory, homme passionné et passionnant. Il a gentiment accepté de se dévoiler, toujours avec goût, pour nous. Je vous propose de lire ci-dessous son interview.
● Bonjour Grégory, t’es-tu toujours intéressé aux vêtements ?
Pas plus qu’un autre durant mon enfance je pense, mais dès mes premiers salaires, c’est devenu un poste de dépense significatif. Cela fait une dizaine d'années que je cultive un style plus classique, intemporel, et que le vêtement a pris une place prépondérante dans ma vie.
● Comment est né Au Drôle de Zèbre ?
Un peu malgré moi à vrai dire. J’avais jusqu’alors une carrière assez classique dans l’informatique, avec toutefois toujours un projet en parallèle pour me créer de nouvelles opportunités. La vie de bureau étant rarement passionnante, dur pour le passionné que je suis d’y rester en place. Ainsi j’ai vécu pendant quelques années différentes aventures tantôt dans le web et l'entrepreneuriat, tantôt dans le vêtement, parfois à la croisées des deux.
Aussi, j’aimais chiner, aussi bien dans des vides-greniers qu’en ligne (je me suis inscrit sur eBay au début des années 2000). Donc lorsque j’ai commencé à me passionner pour les beaux vêtements, j’ai immédiatement regardé ce qu’on pouvait trouver hors des sentiers battus de la distribution classique. Et comme dans tout autre domaine, c’est là que les pépites se trouvent.
Ainsi j’ai pu très rapidement troquer mes Loding contre des Green haha ! Pendant quelques années, je faisais un peu d’achat-revente en dilettante, pour financer des futures acquisitions, mais sans trop de calculs de ma part. Puis un jour en 2019, je me suis dis que le projet que je cherchais pour changer de vie professionnelle était peut-être celui-ci, sous mon nez depuis un moment déjà. Comme il fallait le tester réellement, j’ai acheté pour environ 1000€ de Lobb dans une vente aux enchères, fait un fichier Excel et commencé à compter ce qui rentrait et ce qui sortait. Je n’ai pas été déçu du résultat car en 5 mois je gagnais déjà plus que dans mon travail à temps plein, juste en chinant les soirs et weekends. Logiquement, 5 mois après, je quittais mon job pour me consacrer pleinement à cette nouvelle aventure. “Au Drôle de Zèbre” était né. Depuis, le Zèbre a bien grandi, vendu des milliers d’articles dans plus de 45 pays dans le monde et à encore de nombreuses pépites à dévoiler.
● L’industrie de la mode est un des secteurs les plus polluants après celui de l’énergie. Dans quelle mesure la seconde main te permet-elle de pallier cela ? Est-ce une démarche importante pour toi ?
C’est une démarche absolument indissociable de ma vie, et donc de celle de ma société. Je fais en sorte que mon affaire soit la plus inoffensive possible pour la merveilleuse planète sur laquelle nous avons la chance de vivre. Aussi, cela passe par des choix qui peuvent-être aux antipodes de ce que propose l’industrie actuelle. Pas de suremballage, pas d’encres et un usage des plastiques réduit au strict minimum incompressible.
Aux débuts de la boutique, je récupérais des cartons de vin chez le caviste du coin. Les cartons étaient comme neufs puisqu’ils ne parcouraient que quelques kilomètres entre les châteaux du bordelais et Bordeaux. Je trouvais cela amusant d'expédier les commandes depuis Bordeaux dans des cartons de vin. Malheureusement, des contraintes de poids volumétrique m’obligent à avoir des emballages standardisés pour la plupart de mes envois à l’international. (Un emballage, même recyclé, devient polluant s'il prend trop de place inutilement lors de son transport).
Je suis en train d’inscrire Au Drôle de Zèbre à “1% for the planet”, organisation créée par Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, et je soutiens d’autres associations à titre privé. Si consommer mieux est un bon début, soutenir avec son temps ou de l’argent des organismes qui sont à l'œuvre chaque jour est la suite logique. Quiconque a les moyens de porter des chaussures à plusieurs centaines d’euros fait de facto partie des 10% les plus aisés de ce monde et devrait contribuer, même modestement, à de bonnes œuvres. La générosité est une forme d’élégance dont le monde à besoin.
● Quelle a été ta plus belle trouvaille ?
Impossible d’en retenir une seule sur des milliers de pièces. Je vais citer en vrac : des robes de chambre Arnys réversibles en pashmina et soie, des paires bespoke de Lobb Paris ou Londres, de Corthay, de Berluti, de Fukuda... parfois neuves ! Des costumes de la plupart des grands tailleurs Européens, des cuirs Seraphin, Chapal...À ce jour, j’ai distribué des produits de plus de 250 marques différentes.
Ce que j’aime, c’est mettre la main sur des produits rares, vraiment difficiles à trouver, et en réserver la primeur à mes clients les plus fidèles dont je connais les tailles et goûts par cœur. Ainsi, la plupart de ces très belles pièces sont souvent déjà vendues avant que je ne les mette en ligne.
● Quelle est ta pièce favorite actuellement en vente ?
Je dirai un mocassin à pampilles en mesure de chez Lobb Paris (j’ai d’ailleurs deux paires en vente). De très belles lignes, affutées mais sans agressivité, et de la décontraction affichée avec les pampilles. Une paire qui fonctionne aussi bien l’été sous un chino négligemment retroussé que sous un velours côtelé l’hiver.
● Quelle est ta tenue idéale ? (Celle que tu portes le plus en ce moment ou celle que tu rêves de pouvoir porter par exemple).
À l’image de la paire mentionnée précédemment, je privilégie de plus en plus une élégance simple et souple ces dernières années. Mon activité professionnelle et ma vie de père d’enfant en bas âge m’ont dirigé vers des tenues plus résistantes aux aléas du quotidien. Je dirais un chino clair, c’est toujours une bonne base pour une tenue contrastée (n’ayez pas peur des les salir, c’est la vie !), une belle chemise unie mais légèrement texturée de chez G.Inglese par exemple, une paire de Portland de chez Green marron ou beige, avec éventuellement une veste Filson pour se couvrir. C’est le genre de tenue qui me convient parfaitement au quotidien, pour gérer d’une main des colis en expédition / réception et de l’autre un enfant de 5 ans qui fait de la trottinette.
● Y a-t-il une histoire derrière le choix du zèbre comme emblème ?
L’idée vient surtout de l’expression désuète “drôle de zèbre”, qui désigne une personne singulière, voire anticonformiste. Ni cheval ni âne, le zèbre n’est pas domestiqué, libre, et arbore un pelage hors du commun. Je pense que nombre de mes clients peuvent s’y reconnaître.
● Enfin, as-tu des projets futurs pour Au Drôle de Zèbre ?
Pas nécessairement. À mon sens, une des clefs de la réussite est de ne pas partir dans tous les sens, vouloir se diversifier à tout prix, au risque de se perdre en chemin. J’ai de l’admiration pour ces maisons qui ont la même recette depuis cent ans, et qui la préservent sur des générations malgré les époques et les modes. Je m’inscris totalement dans cette logique. Je suis plus intéressé par une exécution juste que par l’innovation. Au fil des ans j’ai pu acquérir une belle clientèle, fidèle et très satisfaite. Je vais continuer de servir la même recette. Je profite d’ailleurs de vos colonnes pour remercier chaleureusement mes fidèles clients, amis et followers. Rien de cette merveilleuse aventure ne serait possible sans vous. Merci infiniment !
Néanmoins, le plus beau projet serait de pouvoir créer prochainement un premier emploi et de commencer à transmettre cette recette, puis pourquoi pas les clefs de la boutique un jour.
Merci Grégory !
La seconde main comme consommation alternative
Je ne ferais pas un laïus sur les bienfaits de la seconde main - consommation raisonnée, démarche responsable, prix attractifs - je me cantonnerai de vous étayer ce que cette quête me procure.
Tout comme Grégory, avoir une démarche écologique est un sorte de manifeste quotidien. Sans tomber dans l’excès, je pense que se plonger dans les styles du passé pour les ressusciter est une démarche excitante. Lorsque j’ai commencé ma quête pour une cravate Charvet, je n’avais pas particulièrement de motifs ou de tissus précis en tête. Mon seul leitmotiv était qu’elle soit belle. Bien sûr la seconde main offre parfois des mauvaises surprises - notamment lorsque l’achat s’effectue à distance - mais elle demeure fondamentalement une quête apaisante et excitante à la fois.
Apaisante car derrière mon écran - j’insiste sur la quête à distance - je me laisse guider par le flux des vêtements proposés par les différents vendeurs sans pression aucune. Je scroll, je clique, je re-scroll et je reclique. J’aime m’accorder quelque temps pour me consacrer exclusivement à la quête d’un vêtement ou d’un accessoire, sans jamais me presser. Je m’accorde du temps pour réfléchir, je négocie avec le vendeur - et souvent avec moi-même - et l’acte d’achat, s’il est finalisé, est toujours plaisant.
Excitante car on ne sait jamais sur quoi l’on va tomber. La mode étant intrinsèquement cyclique, retrouver des motifs disparus remis au goût du jour est une démarche teintée d’une certaine fierté. Fierté d’avoir fait une “bonne affaire” !
La seconde main m’a permis d’étoffer ma collection (sic) de cravates à un prix raisonnable - ce n’est pas Mathieu qui dira le contraire, lui qui a récemment déterré cinq cravates Arnys pour 10 €.
Pour une quête d’accessoires, de souliers et vêtements plutôt sartorial, Au Drôle de Zèbre est une adresse de confiance.