De la différence entre costume en Grande Mesure, Demi-Mesure et Prêt-à-Porter

 
 
Costume Liverano Liverano en cours de construction Image thearmoury.tumblr.com

Costume Liverano Liverano en cours de construction
Image thearmoury.tumblr.com

L’art tailleur, aussi appelé art Sortorial, est sujet à d’éternels débats, et ce depuis plus de deux siècles. Ce qui fait l’art tailleur et qui le distingue des périodes vestimentaires précédentes, c’est la coupe parfaite. Elle est proche du corps et de ce fait le travail du tailleur consiste souvent à éviter les faux plis et à s’assurer d’un bon tombé.
A cette époque déjà (XIXème siècle), certains tailleurs transmettent à leurs successeurs des patrons “magiques” qui, moyennant quelques ajustements, s’adaptent à la plupart des hommes. Cependant, pour éviter des tâtonnements trop approximatifs lors des prises de mesures et de la construction des costumes, de nombreuses méthodes tailleurs vont naître. Elles permettent aussi de mieux prendre en compte toutes les différentes morphologies humaines. L’une d’entre elles sera, par exemple, créée par Alexis Lavigne, le fondateur de l’école ESMOD en 1841.

De nos jours, il existe trois possibilités pour acheter un costume neuf : le prêt-à-porter, la Demi-Mesure et la Grande-Mesure.
Dans les faits, il est généralement admis que :

  • Grande-Mesure (Bespoke en anglais) = patronage unique aux mesures du client réalisé à partir de zéro

  • Demi-Mesure (Made To Measure en anglais) : ajustement aux mesure du client d’un patronage standardisé

  • Prêt-à-porter (RTW en anglais) = patronage standardisé

La réalité est beaucoup plus floue. Derek Guy, fondateur du blog américain Die Workwear, a écrit deux articles très complets sur la question.

Certains tailleurs Grande-Mesure, même parmi ceux de Savile Row, travaillent à partir de patronages existants qu'ils ajustent par la suite. De même, certaines vestes en prêt-à-porter sont entièrement construites à la main comme le sont celles réalisées en Grande-Mesure.

LA COUPE

Que la veste ou le costume soit réalisée ou non à partir d’un patronage existant n’a finalement pas tellement d’importance. Ce qui importe c’est le résultat final. Un article de David Isle pour NoManWalksAlone illustre cette problématique. Il compare une veste Formosa réalisée en prêt-à-porter non retouchée et l’autre en Grande-Mesure, deux fois plus chère. Une situation idéale pour faire une comparaison puisque le tissu est identique entre les deux vestes et que l’atelier de fabrication est également le même.

En comparant les images ci-dessus, on peut dire que la différence est subtile. La veste prêt-à-porter tombe déjà bien. On remarque cependant assez vite que la coupe de la veste sur-mesure (à gauche) tombe mieux, il n’y a pas de plis au niveau du premier bouton. David Isle précise que ce pli est lié à sa morphologie. En effet, son épaule droite est légèrement plus basse que son épaule gauche. La veste en prêt-à-porter ne prend pas en compte ce détail, elle est prévue pour des épaules symétriques.
La posture naturelle de David Isle est également prise en compte et “absorbée” par la veste sur-mesure. On le remarque sur les photos de profils. La veste en prêt-à-porter remontre sur le devant contrairement à la veste sur-mesure qui reste d’aplomb.

A droite : veste bespoke A gauche : veste en prêt-à-porter Image nomanwalksalone

A droite : veste bespoke
A gauche : veste en prêt-à-porter
Image nomanwalksalone

Veste sur-mesure Image nomanwalksalone

Veste sur-mesure
Image nomanwalksalone

Veste en prêt-à-porter qui tire vers l’avant Image nomanwalksalone

Veste en prêt-à-porter qui tire vers l’avant
Image nomanwalksalone

Des détails qui auraient probablement (dans ce cas) pu être corrigés sur la veste prêt-à-porter par un bon retoucheur.
En résumé, la différence entre la coupe d’un vêtement sur-mesure et prêt-à-porter n’est pas si aussi nette qu’on pourrait le penser. Plus un homme a un physique “facile”et “standard”, plus la différence sera faible entre le prêt-à-porter et le sur-mesure.
Sans compter le fait que les technologies de prises de mesures (scan 3D) évoluent rapidement, le “prêt-à-porter sur-mesure” est sur le point de devenir une réalité.

LA FACON (la fabrication)

La fabrication suit le même chemin que la prise de mesures. Elle s’automatise et devient presque aussi bonne qu’une façon réalisée à la main.
Par exemple, le revers peut être entoilé à la main ou avec une machine spéciale qui permet d’obtenir la même main, le même toucher. A tel point que Robert Jeffery Diduch (cf Can You Spot Bespoke?) pense qu’il n’est pas possible à quiconque faire la différence simplement en portant la veste ou en la regardant sans la démonter.

Pour continuer à creuser ces questions, on vous invite à lire les articles de Die Workwear évoqués précédemment.

 

Londres : the place to be

 

[Article non sponsorisé]

Londres a toujours été une ville incontourable en matière de vêtements masculin. L'offre y est très fournie, beaucoup plus étoffée que celle de Paris. Une ville qui ne résume pas uniquement au savoir faire de Savile Row, traditionnellement la rue des tailleurs bespoke britanniques. (située dans le quartier de Mayfair).
Et encore plus ces derniers temps. Car avez sans doute remarquez qu'il se passe pas mal de choses à Londres : cette ville redevient l'une des capitales mondiales les plus attractives en matière de vêtement masculin. L'excellent site londonien Permanent Style n'y est sans doute pas pour rien...

La preuve en 4 adresses, 1 par quartier londonien.

 

Fitzrovia, 51-52 Rathbone Place : Patrick Johnson Tailor

On commence par une marque que j'affectionne beaucoup, Patrick Johnson Tailor. Ce tailleur Australien est connu pour ses costumes ultra-dépareillés. Les plus légers du monde d'après leurs dires.
Pourquoi ? Parce que l'Australie présente un climat très méditerranéen au niveau de ses régions côtières. Là se où concentre les plus grandes villes du continent : Sidney, Brisbane, Melbourne, Perth et Adélaïde. Les températures descendent rarement en-dessous des 10° et montent souvent au-dessus des 25°. Vous comprendrez donc tout l'intérêt d'avoir des costumes très légers à porter.
Une exigence que la marque poursuit également dans son offre knitwear : les pulls et polo sont tricotés en laine super 160s...ultra fine donc. Un travail qui l'a amené à gagner le prix International Woolmark Prize qui récompense les designers qui innovent dans la création autour de de la laine Mérinos.

Jusqu'à présent ses costumes (en demi-mesure : à partir de $1325 pour les costumes, $900 les sports jackets, $375 les pantalons et $225 les chemises) n'étaient disponibles que via ses boutiques australiennes ou américaines, mais depuis peu ils ont installé un shop à Londres. Le premier sur le continent Européen.

Ci-dessous un extrait de 4 photos de leur look-book. Plutôt pas mal non ?
Je rédige actuellement un article détaillé de la marque, donc patience, vous en saurez plus...

 

 

Marylebone, 57 Weymouth Street: ANGLO ITALIAN

Juste à proximité du quartier Fitzrovia, vous avez le celui de Marylebone. Très connu, il est peu l'équivalent du Marais à Paris. Vous y trouverez Trunkclothiers, Monocle, Sunspel...Et maintenant Anglo Italian.

Cette marque a été fondée récemment par Jake Grantham et Alex Pirounis, soit deux anciens membres de l'équipe TheArmoury. Le célèbre magasin hongkongais qui a largement contribué à faire connaître Liverano Liverano, Orazio Luciano, Ambrosini Napoli...

Gauche : Jake/ Droite : AlexImage : Karl Edwin-Guerre

Gauche : Jake/ Droite : Alex
Image : Karl Edwin-Guerre

Ils proposent des costumes en-demi mesure façonnés à Naples dans la même veine que le parisien Husband. En moins structuré.
D'autres pièces du vestiaires masculin sont également disponibles en demi-mesure ou en prêt à porter. Comme les blousons en cuir suédé par exemple. Ou les Jeans.

Images : oui je les ai honteusement toutes piquées à permanentstyle

 

Belgravia, 151 Sloane Stret : Oliver Peoples

Oliver Peoples c'est l'histoire de deux frères ( Larry et Dennis Leight*) qui débutèrent en rachetant un stock neuf de lunettes anciennes dans les années 80. 20 ans plus tard, la marque a été rachetée (en 2007) par le groupe milliardaire Luxottica. Celui-là même qui est un projet de fusion avec le groupe français Essilor, un autre mastodonte du secteur.

*Le fils de Larry a fondé sa propre marque californienne, Garett Leight. Vous la connaissez sans doute, elle abore un design assez similaire à Oliver Peoples.

Jusqu'à présent cette marque n'était disponible en Europe uniquement via vos opticiens préférés. Ceux du réseau E-like pour nous.
Les seules boutiques en propres étaient situées principalement aux Etats-Unis. Avec l'implantation de cette boutique londonienne, un tournant est en cours. Elle dispose même d'un service sur-mesure !

 

 

TRUNKSHOW Londonien : MARCUS MALMBORG propose EIDOS NAPOLI & STOFFA

Pas d'adresse en dur pour cette dernière preuve que cela bouge à Londres. Sûrement parce qu'il est plus intéressant de tester le marché avant d'investir dans des coûts fixes. Par exemple, Patrick Johson Tailor organisait régulièrement des trunkshow londoniens avant l'ouverture de sa première boutique. Soit parce que le métier s'y prête bien. (typiquement : l'offre de vêtements sur-mesure)

Marcus Malmborg est un agent suédois qui distribue les marques Stoffà et Eidos Napoli. Deux marques qui nous parle beaucoup. Les matières utilisées sont toujours au top, les coupes aussi. Et que dire de leur lookbook ? Ils ont bien compris que de belles images sont incontournables, encore plus à l'heure d'Instagram...

Comptez au moins 1500€ pour un blouson Stoffà en cuir suédé.  Une sélection d'accessoires est également disponible. (écharpes et sacs)

 

 

 

 

 

Costume sur-mesure : Maxime Tormen nous aide à y voir plus clair !

 

Maxime, étant donné que tu as travaillé chez les plus grands tailleurs européens (Sartoria Ripense ou encore Kathryn Sargent), peux-tu nous expliquer globalement (chaque tailleur ayant ses propres méthodes) le processus de création d'un costume dit bespoke* ?
*Définition de ParisianGentleman : Réalisé à partir d'une feuille blanche, il ne s'agit pas d'un réajustement d'un patron existant aux mesures du client

Note de la rédaction : excepté les 4 photos en fin d'article, toutes les photos on été prise par Maxime lorsqu'il travaillait chez Sartoria Ripense et Ilario Piscioneri à Rome ou encore chez Kathryn Sargent à Londres.

Sur Savile Row, chez Kathryn Sargent :Choix du tissus, patronnage et découpe par Alistair le "cutter" de la maison 

Sur Savile Row, chez Kathryn Sargent :
Choix du tissus, patronnage et découpe par Alistair le "cutter" de la maison

 

Prima prova

Lorsque le client arrive au magasin, on détermine dans un premier temps avec lui ses besoins spécifiques : pour quel type d’événements le costume est destiné, les détails qu'il souhaite ou encore le choix du tissus.
Ensuite on prend ses mesures. La largeur des épaules par exemple. On prend en moyenne 7 à 8 points de mesures différents.

Avec les mesures, on dessine un patron exclusif et personnalisé pour le client. Par la suite on place le patron sur le tissu préalablement choisi par le client pour procéder à la découpe. Il s'agit du tissu définitif.

Une fois ces étapes réalisées, on peut passer à la fabrication du costume en assemblant chaque partie de manière grossière (coutures rapides à la main : c'est les fils du "bâti") pour avoir une idée plus précise sur les retouches à faire. C'est ce qu’on appelle en italien "la prima prova" : soit le premier essayage en français. 

 

Seconda prova

Après ces quelques retouches faites sur le client, nous passons à la seconde étape qu’on appelle la "seconda prova". Le costume est à présent assemblé avec les coutures finales. La plupart des fils blancs du bâti - qui ne servent plus - sont donc retirés. D'ailleurs les anciens m’engueulaient souvent là dessus car il m’arrivait d’oublier de retirer ces fils.
On y ajoute certains détails plus compliqués à réaliser comme les poches intérieures et extérieures. Nous fixons aussi la doublure. Enfin arrive les finitions comme par exemple les points de fixations de la doublure.

Un troisième essayage est souvent effectué afin d’apporter quelques modifications notamment sur le montage de l'épaule (parfois la manche part un peu trop en avant ou inversement, un pli non désiré peut parfois apparaître..). 

 

De ces détails qui font la différence...

En haut à gauche : Là je fixe l'épaulette ou le padding, t'appelles ça comme tu veux...on est bien en Angleterre, l'épaule est épaisse !  Si tu veux faire l'Italien, il te suffit de retirer un peu de tissus, et si tu veux faire le Napolitain, tu ne mets rien...

En haut à droite : Une partie de la mise en place du second essayage par moi-même.

En bas à gauche : Il s'agit des mains de mon pote Oleg, ancien conducteur de Char d'assaut en Ukraine.
On fixe la doublure avec le fils blanc en essayant de faire un belle arrondi !

En bas à droite : Détails sur une doublure réalisés par moi-même lors d'un second essayage. C'est ce genre de détails où l'on peut voir des petites différences entre les tailleurs.
Les extrémités des coutures de la poche téléphone portable, doivent être identiques, ni trop élargies et inversement. Pareillement, les distances entre les points doivent être quasi identiques. Je le précise car il m'arrivait de me faire engueuler car c'était justement parfois trop parfait...similaire à une machine ce qui n'est pas bon, le client aime bien qu'on voit que c'est fait à la main !

 

Ces deux photos,  c'est quand je m’entraînais a faire des buttonholes et des milanaises. Elles ne sont pas parfaites mais c'est un bon début. Là encore tu peux voir les différences entre les tailleurs. Normalement il ne faut pas qu'on puisse voir les les points de couture aux extrémités des petits cercles.

Et les cercles doivent avoir la même distance. C'est pareil, au touché il ne faut pas qu'elle soit trop dur ou trop molle...

A gauche : Là je réalise la...pocket square. J'en oublie même les noms ! Entre l'italien, l'anglais et le français, c'est un vrai casse tête ! On doit parvenir à faire un belle arrondi aux extrémités. Ni trop gros, ni trop petit. Là aussi on fait vite la différence entre les tailleurs...A noter que j'ai rajouté un peu de thermocollé pour que ça soit plus résistant.
Au milieu : Faire attention à bien superposer les motifs entre les différentes parties. C'est encore sur ces détails qu'on peut voir la différence entre les tailleurs...notamment au niveau des poches, du dos ou du col.
A droite : Grosse différence entre les Anglais et Italiens, mes points de couture sur le col sont à l'horizontale chez les Anglais, en Italie souvent à la verticale.

En haut à gauche : Mr Pino avec mon gilet Browns Beach d'Anatomica. Je ne comprenais jamais rien quand il me parlait avec son ton de voix Sicilien mais je répondais :
"Si ,Si"..
 

En haut à droite : Alfonso au boulot avec ma souvenir jacket !
 

En bas à gauche : Alfonso au boulot avec ma Campus jacket Mister Freedom, je venais de la recevoir, elle était encore relativement blanche !
 

En haut à droite : Le métier qui rentre !

 

 

Merci Maxime pour tes réponses !

Si l'on résume:

  • 1er rendez-vous : discussion sur le type de costume voulu et première prises de mesures
  • 2ème rendez-vous : essayage du costume réalisé à partir des mesures
  • 3ème rendez-vous : essayage du costume quasi-définitif
  • 4ème rendez-vous : le costume final est remis au client

En images accélérées, on obtient :

Crédit photo : thebespokedudes