Le jean, toujours tonic ?

 

On a pas fini de parler des jeans, le vêtement le plus porté au monde, presque 90 millions de jeans sont écoulés chaque année en France.

France 5 vient de publier il y a quelques jours un reportage qui lui est consacré. Cela va des usines au Bangladesh à celles en Turquie en passant par la France.

On y découvre notamment que Mr Jean Chippaux, retraité de l’industrie du textile continue de produire du denim selvadge dans son petit atelier situé en Picardie.

*Si vous avez son contact nous sommes preneur, on aimerait beaucoup le rencontrer.

jean chippaux

Le documentaire revient également sur l’invention du délavage avec les pierres ponces par Marithé + François Girbaud. On conseille d’ailleurs la lecture du livre qui leur ai consacré par Farid Chenoune, disponible ici.

François Girbaud

Le reportage s’arrête également chez Levis, où l’on découvre le premier 501 au monde, conservé dans un coffre fort ignifugé - une partie des archives ont déjà été perdues lors du tremblement de terre et de l'incendie de 1906.

L’occasion aussi de rappeler que la plupart des caractéristiques que l’on aime sur les jeans vintage Levi’s sont très souvent initialement des défauts. Ci-dessous par exemple, le défaut d’un tissu qui est reproduit sur les nouveaux jeans.

CHEZ LEVIS USA

 

AVIATIC – La marque des années 1980 ressuscitée

AVIATIC

Notre avis sur cette marque française des années 1980

 

Note : nous avons demandé à Aviatic de nous envoyer les pièces que vous allez découvrir dans cet article
Texte : Mathieu R. et Marcos E.
Photos : Thomas M.

Vous connaissez notre passion pour les maisons historiques du vestiaire masculin. Nous aimons particulièrement mettre en avant ceux et celles qui font vivre des savoir-faire conservés au fil des générations. Mais cela doit-il nous contraindre à ne pas apprécier la nouveauté ou le retour de marques ayant eu un passé glorieux ?

Bien sûr que non. La marque AVIATIC en est l’exemple même. Quand le respect des traditions et un œil créatif nouveau s’associent, cela donne souvent des projets intéressants.

Avant d’en dire plus, retournons aux origines de cette marque. 

 
 

L’histoire de cette marque française 

Le Japon a le fameux Osaka 5 (Studio d’Artisan, Denime, Evisu, Fullcount et Warehouse) qui sont les 5 marques majeures ayant permis l’essor et le développement du jeans sur le marché Nippon mais également au niveau mondial. À l’époque où le denim américain commençait son lent déclin, ce quintette permis de relancer l’engouement autour de ce vêtement de travail.

Mais la France n’a pas à rougir. Elle a également un rôle dans l’histoire de la toile de Nîmes - qui deviendra Denim. Au XVIIe siècle, Nîmes et sa région sont un centre de production et de commercialisation textile reconnues. Les bergers cévenols inventent une toile de coton et de serge tissée avec des fils de trame blancs et les fils de chaîne teintés en bleu. La première toile de Nîmes fut tissée en 1669.
Le terme Jeans vient quant à lui, selon la légende, de la ville de Gênes en Italie où Levi Strauss avait pour habitude d’acheter ses lots de denim. La plupart des marchandises nîmoises transitait par le port de la ville italienne. La teinture bleu indigo de Gênes sera renommé “Blu-Jeans” par les américains. La suite, vous la connaissez. 

C’est fort de cette culture et de l’engouement autour de cette toile si particulière que Monsieur  Michel Faraut va créer Aviatic Jeans en 1982. 

Le Denim à la sauce Française 

Après des années de monopole, Levi’s se voit rattrapé par des milliers de marque à travers le monde. En France, au début des années 1980, de nombreux amoureux de jeans et d’americana vont créer des marques emblématiques comme Jean-Michel Signoles avec Chipie, Charles Chevignon et Guy Azoulay avec Chevignon ou encore Michel Faraut avec Aviatic Jeans. Ces “jeanners” ont réussi à montrer au reste du monde que la France avait son rôle à jouer sur l’échiquier international.

Mr Faraut a été l’un des premiers à proposer des jeans de qualité supérieure en mixant des toiles  tissées au Japon mais en gardant une confection Italienne ou Française. Le logo de la marque en  1982 appuyait cette ambition “The Nation’s Finest – AVIATIC". 

Très vite la marque acquiert une renommée internationale qui ira bien au-delà de nos frontières et qui lui permettra d’être distribué dans des pays comme le Japon, les Etats-Unis ou encore  l’Angleterre. Pendant une vingtaine d’année, la marque est prolifique, mais elle commencera à  s’essouffler dès les années 2000 avec le départ de son fondateur.  

La renaissance 

Après quelques années difficiles c’est finalement en 2010 que le renouveau arrive. Cette année est  marquée par le rachat de Mr Alain Knafo. Son expertise et son expérience de plus de 40 ans dans l’univers textile en fond un repreneur de choix pour la marque.  

Lui-même baigné dans l’univers du jeans après avoir créé la marque Big Star en 1979, il souhaite en effet relancer AVIATIC en gardant l’esprit originel de son fondateur tout en cherchant la meilleure qualité pour les futures pièces de la collection.  Pour rappel, Big Star a aussi fait partit des pionniers français de la toile denim à être reconnus sur la scène internationale. Ce label a été un des précurseurs dans la commercialisation de jeans dit premium (avec un sourcing matière de bien meilleure qualité que la majeure partie des marques de cette époque) en Amérique avec des prix compris entre 150 et 300$, ce qui était un pari osé. Donc, notre homme connait son sujet et le parallèle ainsi que les similitudes avec la marque Aviatic sonnaient comme une évidence. 

AVIATIC propose aujourd’hui des pièces majoritairement confectionnées dans des ateliers en région parisienne et au Portugal. Ils travaillent uniquement avec des partenaires partageant la même vision qu’eux, aussi bien en terme de fabrication que d’engagement social et environnemental.  

Maintenant que vous en savez davantage sur cette marque française, passons aux pièces.

 
 

Le Pardessus en Laine Mérinos Jules Tournier 

Avec l’arrivée du froid, c’est le moment de ressortir son plus beau pardessus pour affronter sereinement les températures négatives. Une veste de ski ferait sans doute l’affaire, mais n’étant pas moniteur de ski et passant le plus clair de mon temps en ville et à la campagne, je préfère plutôt porter un pardessus à manches raglan.

Et tel est le cas de celui de la marque AVIATIC. Confectionné en Ile de France avec une laine mérinos de la maison Jules Tournier, il regroupe l’ensemble des qualités que nous affectionnons sur un pardessus. La laine tout d’abord. Outre une tenue et une main soyeuse, c’est surtout sa fonction coupe-vent qui m’a le plus impressionné. C’est simple, vous êtes au chaud, c’est doux, naturel et rien ne passe.

Pour rappel la manufacture Jules Tournier a été créée en 1865 et possède le label “Entreprise du patrimoine vivant” qui distingue les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence. Travaillant la laine depuis plusieurs générations et notamment pour des  corps de métier exposés aux rudes conditions climatiques comme les marins ou les militaires  (dont les manteaux des gradés de l’armée française depuis l’époque Napoléon III), leur savoir-faire lainier est une référence en France. La filature Jules Tournier située à Mazamet utilise toujours des machines des années 1970 à carder la laine .

 
 

Petit rappel des nombreux avantages de la laine par Jules Tournier :  

“Grâce à sa texture ondulée et sa structure en écaille, la fibre de laine emmagasine une grande  quantité d’air, gage d’une bonne isolation thermique. 

Matière naturellement hydrophobe, elle permet de produire des tissus peu perméables  à l’eau et déperlants après feutrage.” 

Donc que ce soit en termes de douceur, de résistance au froid et de durabilité, ce tissu à base de  Mérinos d’Arles - l’une des races de mouton les plus anciennes d’Europe, la laine est récoltée grâce à un partenariat avec des éleveurs de la plaine de Crau - sera votre parfait allié. 

Enfin au niveau de sa construction générale, quoi de mieux que des manches raglans pour être à  l’aise et avoir de l’aisance au niveau de ses mouvements de bras ? Deux poches en biais extérieur  viennent compléter le tout et lui conférer un aspect classique. Niveau longueur, il tombe à hauteur  des genoux. à l’intérieur, vous avez la possibilité d’y glisser vos clefs, portefeuille et autres objets du quotidien grâce à ses deux poches. J’aurais simplement aimé qu’elle puisse se fermer par  l’intermédiaire d’un bouton. Malgré tout, elles restent suffisamment profondes. 

 
 

Autres détails que j’apprécie sont le dessous du col en velours ton sur ton et ses boutons en Corrozo ajoute à l’ensemble une certaine élégance. 

Ce pardessus AVIATIC taille normalement et il est disponible dans d’autres coloris comme le marron  ou l’écru. Vous avez également la possibilité d’opter pour un Chevron Noir ou Pied de Poule du plus bel effet. Enfin pour un prix de 695€, il reste une option très intéressante au vu de sa confection Made in France.

Vous l’aurez compris ce pardessus a désormais une place de choix dans mon vestiaire et va m’accompagner durant de nombreux hivers. 

Disponible ici.

 
 

Le pull col roulé laine et cachemire 

Le monde se divise en deux camps. Ceux qui n’aiment pas le col roulé et ceux qui l’adoubent. Je me range dans cette dernière catégorie. Je ne compte pas vous retracer l’histoire du col roulé mais je vais vous dire pourquoi le col roulé de la marque AVIATIC est si spécial. 

 
 

La couleur tout d’abord. L’écru est une couleur que j’apprécie particulièrement car c’est une teinte lumineuse, quoi de mieux que d’ajouter un peu de lumière dans une tenue hivernale ? Si vous n’aimez pas cette couleur, AVIATIC propose 4 autres couleurs de ce pull mythique : noir, gris chiné, camel et  l’éternel bleu marine.

La matière ensuite. Ce col roulé est tricoté en Italie par Roberto Collina, des experts en maille depuis plus de 60 ans qui fabriquent également en marque blanche pour d’autres grandes marques, une référence dans le milieu.
Il est tricoté avec un mélange 90% laine et 10% cachemire. La main est moelleuse et agréable, et pour l’avoir porté par – 5°C lors de ce shooting photo, je vous confirme qu’il tient bien chaud. Pas au point de remplacer ma doudoune Crescent Down Works mais quand même. Le pull a également une belle tenue, tout comme son col.  

 
 

L’engagement écologique et animal enfin. Tout d’abord, la marque soutien le « SustainaWOOL Integrity Program », un programme qui vise à plus de traçabilité et de transparence dans la production de produits à base de  laine. À noter que les producteurs de laine se soumettent volontairement à un audit chaque année afin de renouveler cette étiquette. Ensuite, la laine de ce pull est garantie à 100% « museling-free ». 

Le col roulé AVIATIC est une pièce qui paraît banale, mais en réalité ne l’est pas. Il est ainsi devenu un de mes indispensables de l’hiver grâce à sa maille duveteuse, son col à la tenue parfaite et à son prix raisonnable. Prenez votre taille habituelle !

Le pull col roulé est  disponible ici.

En conclusion 

Nous avons été agréablement surpris de la qualité des pièces de la marque. Vous retrouverez l’ensemble des  pièces sur leur site Internet ainsi que dans la boutique tenue par Stan (le fils d’Alain Knafo) chez  Elevation Store à Paris situé au 135 Rue Vieille du Temple.

 

Qu'est ce que le Kasuri ?

 

Visvim Printemps / Eté 2023 

Fondée en 2001 par le designer Japonais Hiroki Nakamura, la marque Visvim vient de publier le lookbook de sa nouvelle collection Printemps / Eté 2023. Comme souvent, les inspirations du label sont à mi-chemin entre l’américana aux influences militaires et la culture amérindienne. Grand  collectionneur d’objets en tout genre (à retrouver dans le livre “My Archive” édité par Popeye  Books), Hiroki propose une fois de plus des pièces avec un aspect patiné afin d’en faire de “Future  Vintage”. 

Comme souvent on y retrouve des techniques de confection traditionnelle pour certaines des pièces  proposées. Ici c’est la technique du “Kasuri” qui est mise à l’honneur. 

Le "Kasuri" est une technique de tissage qui se caractérise par ses légers motifs fragmentés : les  fils sont partiellement teints au préalable et lorsqu'ils sont tissés ensemble, les segments non  teints du fil apparaissent comme des motifs sur le tissu. Cette technique serait originaire de l'Inde  ancienne et serait arrivée au Japon par la Chine et le royaume de Ryukyu. 

Pour en savoir plus, c’est par ici.

 

The Cary Collection

 

Il y a parfois des découvertes inattendues. Internet, cette source d’information infinie y est souvent pour quelque chose.  La découverte dont je vais vous parler en est l’exemple parfait.  

C’est lors d’une recherche sur les différents labels de la marque américaine Brooks Brothers - afin de pouvoir identifier les différentes époques de leur chemises Made in USA - que je suis tombé sur une véritable mine d’or de l’univers Preppy. En cliquant sur un lien de ma recherche Google Image, j’ai été redirigé vers le site The Cary Collection. Et là, attachez vos ceintures, nous  partons pour l’univers de l’Ivy League dans toute sa splendeur. 

Fondé par Thomas C. Cary, l’aventure The Cary Collection a débuté dans son appartement. Véritable chaos organisé, les clients potentiels ou simples passionnés, pouvaient venir au sein de son antre New Yorkaise. Rapidement débordé par la quantité d’objets amassés au fil du temps, ce  collectionneur passionné et précoce a dû ouvrir un véritable showroom et déménager à Bristol, dans le Connecticut en 2015 afin de regrouper l’ensemble de sa formidable collection. Son grand-père maternel, le major Jay Coogan, était un anglophile et aimait tout ce qui touchait au polo et à l’équitation. Il était propriétaire du Coogan Polo Grounds dans le Bronx, où se trouvent les Dodgers de Brooklyn. Son père était collectionneur d’art siégeant au conseil d’administration de la galerie  d’art Albright-Knox à Buffalo (la ville de la boutique O’Connell’s dont on a parlé ici) dans l’état de  New York et à côté d’East Aurora, la ville où il a grandi. Sa mère était collectionneuse de meubles  anglais et d’antiquités, il était donc difficile pour lui de ne pas tomber dedans dès son plus jeune âge. 

En grandissant, il s'est passionné pour les vieux catalogues Brooks Brother's (il y a d’ailleurs travaillé en tant qu’acheteur) et les magazines Esquire, a également étéinfluencé par les émissions de  télévision de l'époque comme The Avengers et The Persuaders ou encore le célèbre agent secret britannique, James Bond. Passionné par le concept de la royauté, il aurait même envisagé de suivre une formation de majordome à Londres. Il n’a finalement pas emprunté cette voie mais a gardé un goût pour tout cet univers. 

D’abord connu pour son impressionnante collection de livres anciens et rares (on parle de plus de  12000 références), la notoriété n’a fait que grandir pour cet amoureux d’objets anciens en tout genre. À cheval entre l’Etat de New York, de la Nouvelle Angleterre, de la voile et du monde nautique, des domaines de Newport Beach, des clubs de Jockey ou de rugby, toute la symbolique de cette élite de la “East Coast” y est représentée. Petit à petit, de grands designers (Ralph Lauren,  Tommy Hilfiger, et consorts) ou boutiques (comme le grand magasin de NYC Bergdorf Goodman) ont fait appel à lui pour trouver l’inspiration, décorer des vitrines ou simplement se replonger dans une époque marquante de la culture américaine. 

En plus de son showroom, le site internet regorge de trésors, avec des marques que nous  affectionnons particulièrement au sein de l’équipe comme The Andover Shop, O’Connells mais aussi  des classiques marques américaines/britanniques encore en activité comme Alden, Alan Paine,  J.Press, Brooks Brothers, (Michael) Drake’s…On y trouve également une immense sélection de  pièces vintage, respirant l’univers si particulier de l’Est Américain et de ses célèbres universités. Que ce soit, les vestes de club, les polos, les chemises OCBD, tout y est. Sa collection ne se résume pas qu’aux vêtements et livres anciens, on y trouve également des accessoires, du mobilier, des objets décoratifs, des objets à l’effigie des équipes de sport des campus d’Harvard, Penn, Colombia pour n’en citer que quelques-uns. Pour rappel, les universités composant l’Ivy League sont au nombre de  huit (Harvard, Yale, Princeton, University of Pennsylvania, Columbia, Dartmouth, Brown, et Cornell).

On y trouve aussi les marques qui ont permis à ce style de se démocratiser sur la scène  internationale comme Ralph Lauren, J.Crew, ou Abercrombie & Fitch. Mais dans ce cas-là, les pièces sont des pièces historiques datant d’une époque où elles étaient encore confectionnées sur le sol américain. 

Bref une mine d’or tant le nombre de référence parait sans limite. Je dois reconnaître que beaucoup de pièces donnent envie, que la visite de son showroom est sans doute une expérience unique mais qu’il est difficile de connaître l’ensemble des prix (ils ne sont pas forcément indiqués sur le site). Une chose est sûre, ce site peut aussi vous permettre de vous inspirer pour la création de vos looks ou  simplement vous permettre de découvrir des pièces historiques et vous plonger dans l’univers de la culture WASP typique de l’élite de la côte Est des États-Unis.  

Polo Coat Brooks Bothers en Camel Hair

Blazer Ralph Lauren

Manteau Chrysalis

Écharpe Holland & Holland 100% Cachemire

Blazer J.Press

 

Tenue des lecteurs, Obeyfeline AKA Réginald Jérôme de Mans auteur de « Swan Songs: Souvenirs of Paris Elegance »

 

Nous avons déjà écrit un article sur le livre de Réginald-Jérôme de Mans, Swan Songs. De notre point de vue, c’est un des meilleurs livres des 10 dernières années sur l’univers du vêtement masculin. Aussi lorsque nous avons appris qu’il faisait une dédicace chez Chato Lufsen en fin d’année dernière, nous lui avons immédiatement proposé de figurer dans notre série Tenue des Lecteurs. Et on en a profité pour lui poser quelques questions.

Vous pourrez trouver la version originelle en anglais ici.

D’où vient ton amour pour l’artisanat français ?

Sans vouloir faire penser aux longues introductions et aux allusions historiques qu’écrit mon ami Derek Guy de Die, Workwear! pour ses propres billets, il faut remonter à mon adolescence lorsque j’étais scolarisé dans un prep school – ou école préparatoire privée pour une faculté américaine hors de prix – du nord-est américain. Prep n’est pas ce à quoi on pense aujourd’hui, une image embellie par le syncrétisme de Ralph Lauren et une nostalgie à l’eau de rose montée de toutes pièces par des personnes qui n’y étaient pas. C’était un monde axé sur l’adolescence, le lycée et le privilège. 

Et comme on peut attendre du monde adolescent, c’était basé sur des thèmes d’exclusion. Le Nord-est américain est réputé pour avoir ce côté froid et inamical. Il y avait très peu d’élégance, seulement une homogénéité d’OCBD et de khakis – (ndlr : pantalons de couleur beige), de sacs à dos LL Bean, et surtout la peur, la peur ne pas « en être », de se faire découvrir. Il ne fallait pas mentionner qu’on n’avait pas de maison de vacances à la plage ou qu’on ne passait pas ses vacances d’hiver à faire du ski au Colorado ou en Suisse. Cela allait jusqu’à la musique qu’on écoutait. Médiocrité de bourgeoisie moyenne et assurance, l’assurance que tout nous sera offert par le monde pour pouvoir perpétuer notre appartenance à ce monde – si nous en faisions déjà partie. Pour moi, c’était un choc. Me sentant exclu, je m’astreignais à me définir plutôt qu’à être défini, y compris dans la façon dont je m’habillais. Je ne pouvais pas me permettre une garde-robe très étoffée de vêtements Preppy

Or, dans une braderie je suis tombé sur un manteau griffé Christian Dior – de l’époque d’avant que LVMH rachète toutes ses licences, donc une ligne sans grand intérêt esthétique. Mais pour moi c’était exotique, complétement hors du monde des marques preppy. Par cet exotisme il me semblait dépasser le preppy sur le plan esthétique. Et cela m’a cultivé dans une curiosité exacerbée pour en savoir plus sur la marque – et ensuite sur toutes les marques et faiseurs auxquelles je me suis intéressé, leur histoire, leurs références culturelles…L’année suivante, une nouvelle version d’Une robe pour Mrs Harris est passée à la télé avec mon comédien préféré, Omar Sharif, donc je l’ai regardé. L’intrigue est une dame aux petits moyens qui va à Paris pour s’acheter une robe haute couture Christian Dior avec ses économies, une métaphore de ma vie depuis.

Bien sûr, entre l’adolescence et ma vie actuelle d’homme qui a vendu son âme pour le steez français, beaucoup de choses se sont produites. En vérité, quand j’avais commencé à m’intéresser à l’élégance, je me suis surtout intéressé à certaines marques et faiseurs britanniques. Mais comme je l’ai écrit, il n’y a rien de plus français que l’anglophilie. Or, ayant habité en France à plusieurs reprises pendant ma vie, je connaissais certains magasins et marques françaises mieux que les iGent lambda. Et vivant à Paris pendant les dernières années d’Old England et Arnys, juste après la fermeture définitive de Sulka, j’ai pu les fréquenter ainsi que découvrir d’autres adresses moi-même comme Anthony Delos de l’époque où il travaillait pour son propre compte. Mais aussi Charvet, qui est évidemment très bien connu mais qui est devenu mon premier chemisier sur-mesure, parce qu’à l’époque je m’étais promis que je commanderais une chemise sur mesure, seulement une, et donc qu’elle devait être parfaite et dans le tissu parfait parce que si Charvet n’avait pas la couleur ou le motif, il était probable qu’elle n’existe pas. 

En l’occurrence, j’ai enchainé des commandes de chemises et j’ai découvert que même Charvet n’avait pas toutes les couleurs que j’avais entrevu dans mes fantasmes. Mais je suis tombé sur un patronnier qui était un vrai as, Luis Penedo, qui avait été chez Gaillet avant sa reprise par Hermès et chez Sulka Paris, qui a réalisé un patron superbe pour moi… et j’ai redécouvert que, comme avec mon vieux manteau en prêt-à-porter, je voulais ce que les autres n’avaient pas, soit pour leur ignorance soit par rareté. Aussi, j’ai fait faire une veste par le tailleur Charvet, celui qui habillait Philippe Noiret, l’un des Français les plus élégants du dernier demi-siècle. Bien qu’il soit excellent, le service tailleur Charvet est très méconnu – et à l’époque, plutôt raisonnable !!! Quand j’habitais Paris je continuais d’utiliser des tailleurs britanniques, mais le fameux et mystérieux Michael Alden m’avait aussi ouvert les yeux au « Groupe des cinq » (NDLR : Formé en 1956 par André Bardot, José Camps, Max Evzeline, Socrate et Gaston Waltener, « le groupe des Cinq » ambitionne de créer une “Haute Couture pour Hommes”. Ils se distinguent de l’ancienne garde par leur audace, la présentation de leur collection chez Maxim’s puis à l’hôtel Crillon. Usés par les railleries et l’essor du prêt-à-porter par Pierre Cardin, le groupe s’éteindra à l’aube des années 70. Cette coupe à la française sera portée haut et fort de 1958 et 1967 par toute une génération de tailleurs qui emboîtent le pas des Cinq ; Urban, Gonzales, Rousseau, Cifonelli, Smalto et Jean Raymond entre autres.) et à la tradition tailleur française, me donnant une envie que je n’avais satisfait qu’après des années. Et c’est grâce à lui que je suis allé chez mon chemisier actuel, Marc Lauwers. Je n’ai pas essayé tous les chemisiers qui existent, mais il est, de ma propre expérience, le meilleur toujours exerçant le métier – et de loin le plus élégant !

Ce qui a cristallisé ma francophilie vestimentaire en son incarnation actuelle était en fait la demande de mon ancien agent littéraire d’écrire un livre. Après avoir réfléchi sur des sujets éventuels, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de livre sur les faiseurs français qui en parlait avec intelligence et exhaustivité. (Depuis, bien sûr, Hugo Jacomet a sorti le sien, bien que nous abordions le sujet de manière différente.)  Ça m’a même poussé à faire ma première commande chez Camps de Luca, bien que l’excuse « It was just for research » ne fonctionne pas auprès des femmes dans ce cas non plus. Mais surtout je me suis investi dans le vintage des faiseurs français… Et donc à mon désir de dépasser, d’avoir ce que les autres ne pouvaient pas, s’est rajouté un autre aspect : avoir pas simplement ce que les autres ne connaissent pas, mais ce qui n’existe plus. Car les J6M (ndlr : Jean-Marie Messier, ancien patron de Vivendi, baptisé « J6M » pour Jean-Marie Messier, Moi-Même Maître du Monde par les Guignols de l’info) du monde sartorial d’aujourd’hui peuvent avoir tout, commandent avant le petit déjeuner le même nombre de costumes de tailleur parisien que j’ai mis une décennie à me permettre, s’achètent des montres haut de gamme comme moi j’achète mes demi-kilos de café. Mais ils ne sauront jamais quelles étiquettes signalent les grandes époques de Sulka, ou ce qui rend certaines mailles cachemire Hermès ou Charvet du passé meilleurs que les Loro Piana et autres Cucinelli d’aujourd’hui. A moins qu’ils ne lisent mon livre. 

 Sur ton compte Instagram @Obeyfeline tu t’amuses des mèmes sur le savoir-faire haut de gamme français, est-ce une façon pour toi de rendre ce monde plus accessible ?

 Quand j’ai commencé à être Extremely Online j’ai très vite remarqué que la plupart des influenceurs (et avant eux les journalistes qui écrivaient sur l’élégance masculine) pratiquaient une distanciation voulue à ce a quoi ils avaient accès, la grande mesure, l’artisanat cousu main, et autres, les élevant culturellement grâce à des allusions aux textes qu’ils n’ont probablement pas lus, aux anciens clients qui avaient été servi par des coupeurs ou formiers morts depuis un demi-siècle, et aux pratiques confidentielles évoquées comme des secrets occultes. En ce faisant, ces gens-là renforcent leur propre valeur comme les seuls qui ont la connaissance de ces mystères… et en plus font semblants d’appartenir à une classe putative qui pouvaient s’en servir (créant un concept exclusif et ridicule de « gentleman »). Or, certaines marques (grandes ou petites) profitent de cette opacité pour faire des raccourcis et vivent de leur réputation. Et ni moi ni la plupart de ces pythies – ni 95% de notre lectorat, y compris les traditionalistes « RETVRN » glauques – ne font partie de cette classe supposée habituée à la grande mesure, et en fait ces gens-là, si même ils existent, se sont servies de la mesure et des autres éléments de l’artisanat haut de gamme français sans y réfléchir et sans prendre du plaisir. Pour la plupart d’entre eux, il s’agissait des objets d’apparat, des trucs qu’on commandait parce que c’était ce qui se fait, d’une routine ennuyeuse et onéreuse. 

Les gens qui doivent y penser, pour qui c’est excitant parce que c’est une nouveauté, qui s’occupent des détails, sont des gens comme moi, présumant au-dessus de nos conditions. Ainsi faisons-nous des fantasmes et chaque réalisation est tempérée de déception. Et donc c’est comique et tragique en maints aspects ; l’impertinence s’impose. Il faut dégonfler des légendes sans fond, des prétentions ridicules. Je ne peux pas oublier l’aveu de Tyler Brûlé, qui avait fondé la magazine hypermoderniste wallpaper*, qu’en fin de compte la personne qui achetait les objets bellissimes si soigneusement sélectionnés et composés dans les reportages de son magazine était « some banker, » donc un finance bro au goût quelconque.

Je plaisante de temps en temps que (pour périphraser Black Sabbath) j’ai vendu mon âme pour steez (I sold my soul for steez), c’est-à-dire j’ai passé des décennies à y penser, à en lire des bouquins, et surtout à rechercher des graals qui s’enchainent… A l’exception desdits gens que j’ai décrites ci-dessus il n’y a jamais d’objet magique qui vous transforme la vie, jamais une formule qui vous rendra membre des élus… et même aux adresses les plus mythiques qu’ils chantent on risque de se faire traiter comme du bétail par des vendeurs stagiaires eux-mêmes guère plus instruits que des bêtes… Aussi, il faut imaginer comme un Sisyphe heureux. 

Ton livre, Swan Songs, relate les histoires de grandes maisons parisiennes du passée, pour la plupart éteintes aujourd’hui. Selon toi, quelle(s) marque(s) ont su capter cet héritage ?

 Comme les sept villes qui se disputent la naissance d’Homère après sa mort dans l’épigramme antique, il me semble qu’une dizaine de boutiques parisiennes s’efforcent de se faire l’héritière d’Arnys (Doh !)… Or, son esthétique était très particulière, et elle-même inventée comme Philippe Trétiack avait décrit. Malgré l’intervention du designer d’Arnys Dominique Lelys chez Artumès, je trouve que Christophe Bréard chez Chato Lufsen conserve l’esprit créatif et luxueux de l’inspiration Arnys ainsi que l’élégance excentrique de certaines autres maisons défuntes dont j’avais écrit. 

Rien ne pourra remplacer Old England parce que l’important chez Old England était son cadre baronnial, cet espace énorme et majestueux, qui est irremplaçable maintenant, à l’exception de sa marchandise. Mais pour ceux qui cherchent l’intégrité de l’artisanat dans la plus haute tradition, Marc Lauwers la conserve en chemiserie, tandis que Camps de Luca résume le génie de la grande mesure du tailleur français du dernier siècle : l’essor des rebelles du Groupe des cinq (qui voulaient se différencier des tailleurs classiques en coupant de nouveaux styles en étoffes légères) et, ironiquement, l’héritage par ces tailleurs rebelles du patrimoine tailleur classique quand le style grande mesure s’est redéfini aux années 1980 et après, parce que le  Groupe des cinq et ses anciens sont presque les seuls tailleurs qui restent. Même Cifonelli, qui était un grand tailleur classique, a intégré d’abord Claude Rousseau et ensuite Gabriel Gonzalez, tous les deux des disciples de Joseph Camps.

  

As-tu des obsessions stylistiques ?

 Je ne suis pas certain si j’ai bien compris la différence de cette question des deux qui suivent, mais la couleur et la transgression dans le classique m’obsèdent. Pour la couleur, c’est surtout dans mes pulls col roulé et dans mes chemises, prenant inspiration des années 1960 et de Terence Stamp, de David Hemmings dans Blow-Up, de Lord Snowdon… J’étais attiré par cette période d’abord parce que c’était (superficiellement) une époque de démocratisation de l’élégance où des obsédés vestimentaires des basses classes comme Terence Stamp s’imposaient comme icônes, et où un homme de couleur, Omar Sharif, est devenu le comédien d’origine inclassable, jouant des Argentins, des Arméniens, des Mongoliens, des Autrichiens, et des Russes innombrables. Origine inclassable et domicile inclassable, habitant pendant des décennies une chambre de l’hôtel Royal Monceau, en costumes Huntsman et Cifonelli, prenant compte du changement des saisons par, dans ses propres mots, « changeant de cols roulés cachemire aux cols roulés cotons de chez Harrods ». 

J’ai d’autres obsessions pointues vestimentaires inspirées par ces périodes et références, comme le col que je commande sur mes chemises, toujours un « spread » à l’anglaise mais un peu haut, et mes vestes qui sont depuis 20 ans presque toutes à la forme « hacking », c’est-à-dire poches en biais et fentes doubles. Et toujours des pattes de serrage aux pantalons pour ne pas avoir affaire aux ceintures…

Esthétiquement mon obsession est anthologique, pour utiliser le concept de Derrida : une vision des éléments du passé et de ce qui aurait pu être, ainsi que ce que nous – ceux qui n’avaient pas du tout droit à toutes les choses sympas du passé – auraient pu en faire de manière postmoderne. C’est pourquoi j’avais tellement aimé le concept store « 15 » qui fleurissait à Paris de 2003 à 2004 avec ses classiques de l’époque Art Déco à côté du meilleur de l’artisanat français actuel revu d’une manière rigoureuse, voire spartiate… le fantasque qui doit faire face à un monde plus que prosaïque, cauchemaresque.

 

L’accessoire dont tu ne peux te passer ?

Ma réponse automatique est la pochette RJ cat, la pochette en soie à l’image de feu de mon chat que j’avais persuadé Kent Wang à commercialiser afin que des hommes partout dans le monde portent mon chat près de leurs cœurs. En fait, je ne porte presque plus de pochettes en soie, au profit des mouchoirs en lin blanc tout simple pour éviter l’effet Pitti…

Sinon je tiens aux gants de qualité et à un bon foulard, celui-ci se voit dans les photos que vous avez prises de moi… J’ai toujours plus froid aux mains et au cou quand il fait froid, d’où mon goût pour les cols roulés et les foulards, soit des imprimés cachemire-soie soit des foulards très longs en cachemire de chez Begg. Pour les gants je préfère les gantiers français ; bien que les maisons françaises les plus connues ne sont plus très bonnes à mon humble avis… 

Un indispensable dont tout homme doit posséder dans sa garde-robe selon toi ?

Des pulls col roulé en laine d’agneau ou un bon cachemire… à commencer avec le noir (le « tactleneck » de Sterling Archer) mais idéalement dans toutes les couleurs de l’arc en ciel. Je vie dedans pendant l’hiver. Après ça, ce qui est indispensable est un bon retoucheur, ce qui ne court plus les rues. 

Quelles sont les marques que tu aimes ?

J’ai longtemps été très fan du designer britannique Richard James. Mes marques fétiches sont Caerlee Mills (l’ancien fabricant Ballantyne avant sa fermeture en 2012), les cravates Holliday & Brown re-edited pour Prada, une vision tout à fait alignée avec mon esthétique, et, grâce aux années passées sur mon livre, certaines époques de Sulka, ainsi que les vêtements anciens faits pour ou par Hilditch & Key Paris – on peut le voir par l’étiquette et ce n’était pas du tout la même chose que les vêtements fait pour Hilditch & Key London, qui maintenant a tout repris et qui sombre dans une médiocrité oubliable. 

 

As-tu des marques peu connues que tu peux recommander ?

 Ayant mentionné les gantiers français, il faut que je recommande Lesdiguières-Barnier de Grenoble, le seul bon gantier français qui travaille toujours le chevreau (le gantier Lavabre-Cadet vient d’annoncer qu’ils arrêtent de proposer les gants en chevreau, mais le chevreau français est incomparable). Les gants en pécari fabrication française sont une autre obsession ; Gerard Durand rue du Bac en a la meilleure qualité aux meilleurs prix.  J’adore les chaussettes aux pointures précises, et Kimono boulevard Haussmann et Crimson rue Marbeuf ont quelques-uns des meilleurs choix de mi-bas en coton ou en laine avec de vraies tailles. Grâce à Martin Nimier du site ancien souliers.net, j’ai appris l’existence d’A l’escalier d’argent aux arcades du Palais-Royal qui propose des cravates fait main en motifs jacquard du 18eme siècle.  

Mon ami Oscar Udeshi, mon « frère d’une autre mère » comme on dit en anglais, parait être méconnu en France, mais c’est quelqu’un avec un œil pour le beau et une obsession pour la qualité, les matières et la fabrication de ses produits. 

Je devrai aussi mentionner le jeune maroquinier Victor Dast, très talentueux, très humble et très diligent. C’est aussi un ami, mais je n’ai aucun lien commercial avec lui.

 

 Que portais-tu lors de ce shooting ?

Ahahahaha ! Voilà que le réchauffement climatique nous avait tous déboussolés. Avant ma visite la météo s’était annoncée dix degrés plus froid donc j’avais amené mes mailles cachemires épaisses (fait pour des maisons françaises des années 1990 par le même faiseur écossais défunt, en l’occurrence) et des pantalons épais en flanelle… à mon arrivée à Paris il faisait un temps humide mais bon auquel je ne m’étais pas du tout préparé… Ainsi ai-je dû improviser…je porte un t-shirt Hermès vintage en coton karnak (un coton super-soyeux et lumineux supposément récolté tous les trois ans), une veste M65 Hermès en agneau, tous deux des années 1990, un foulard cachemire-soie imprimé de scènes médiévales de chez Hilditch et Key Paris (de l’époque où cette antenne parisienne vendait des choses introuvables ailleurs même chez son parent londonien), un pantalon en cavalry twill épais ivoire de chez Fox (la gamme/le tirage Simon Crompton) copié par mon MBTM (Mystery Bespoke Trousermaker) de mon pantalon Camps de Luca, des bottines double boucle grande mesure en chevreau velours par Anthony Delos, à l’époque je dévalisais le catalogue grande mesure de Lobb London, qui avait un nombre infini de modèles élégants… 

Delos en a fait sa propre interprétation pour ne pas voler la propriété intellectuelle de Lobb. Pour le pantalon, pendant la pandémie quand on ne pouvait pas se déplacer j’ai fait copier par un tailleur très attentionné mon pantalon mesure Camps de Luca dans toute sorte de tissus pour porter ce modèle dépareillé. Pour la première fois de ma vie j’ai compris l’ardeur et la folie dithyrambique des gens vis-à-vis de certains « culottiers » tellement la coupe (et les détails main) de ce pantalon étaient flatteurs et élégants même sur ma propre silhouette actuellement peu séduisante. Mon MBTM lui-même était bluffant du travail. Et le cavalry twill Crompton était une aubaine : épais, souple, élastique. 

 

Encore un pull vert ?

 

Oui. Le vert s’est imposé dans notre garde-robe voilà quelques années sans la quitter. Mais pas n’importe quel vert. Nous affectionnons particulièrement le vert dit « Kelly Green », à la couleur profonde qui oscille entre l’émeraude et le trèfle irlandais.

 
 

Cette couleur nous apaise et nous obsède à la fois. Couleur préférée de Napoléon et de notre Historien d’art préféré – Michel Pastoureau – voilà ce qu’en pense ce dernier :

« Le vert avait jadis la particularité d'être une couleur chimiquement instable. Il n'est pas très compliqué à obtenir: de nombreux produits végétaux, feuilles, racines, fleurs, écorces, peuvent servir de colorants verts. Mais le stabiliser, c'est une autre paire de manches! En teinture, ces colorants tiennent mal aux fibres, les tissus prennent rapidement un aspect délavé. Même chose en peinture: les matières végétales (que ce soit l'aulne, le bouleau, le poireau ou même l'épinard) s'usent à la lumière; et les matières artificielles (par exemple le vert-de-gris, qui s'obtient en oxydant du cuivre avec du vinaigre, de l'urine ou du tartre), bien que donnant de beaux tons intenses et lumineux, sont corrosives: le vert fabriqué de cette manière est un véritable poison (en allemand, on parle de Giftgrün, vert poison)! Jusqu'à une période relativement récente, les photographies en couleur étaient, elles aussi, concernées par ce caractère très volatil du vert. Regardez les instantanés des années 1960: quand les couleurs sont passées, c'est toujours le vert qui s'est effacé en premier. Conclusion: quelle que soit la technique, le vert est instable, parfois dangereux. »

 
 

Mais le vert est aussi la couleur de l’apaisement et de l’espérance formalisé au Moyen-âge : 

« Le cardinal Lothaire, futur Innocent III, le plus grand pape de l'histoire, qui la formalise dans son traité sur la messe. Il confirme les usages liturgiques concernant le rouge, le noir et le blanc, mais innove en introduisant le vert dans les églises. Il écrit que c'est la couleur de l'espérance, mais aussi une couleur moyenne, qui convient aux jours ordinaires. C'est pourquoi, encore aujourd'hui, l'étole des prêtres est verte en dehors des grandes fêtes liturgiques. Remarquons que le bleu est absent de la liturgie. Il faut dire que le latin n'avait pas de terme de base dédié au bleu. Ce n'est qu'au XIe que le latin emprunte le mot germanique blaupour faireblavus, qui donnera «bleu» en français. »

Le vert est la couleur de la contradiction par excellence. Il symbolise la fortune et l’infortune, la chance et la malchance mais aussi la virilité – « vir » en latin signifie « homme ». Finalement, le vert représente l’Homme dans toute son humanité. Ses désirs, ses réticences, ses faiblesses mais aussi ses forces.

Nous explorons les différentes marques proposant des pull Kelly green, après Howlin’, voici celui de Bosie tricoté par Harley of Scoltand dans un coloris assez émeraude.

 
 
 

Gammarelli – «  Sartoria per ecclesiastici  » ⎜La boutique romaine des chaussettes du Pape

 

Texte et photos (hors captures d’écran du site Gammarelli) : Marcos E.

La devanture de la boutique Gammarelli à Rome, décembre 2022

Derrière le Panthéon de la Città Eterna se cache une des boutiques les plus prestigieuses au monde, Gammarelli. Cette petite échoppe renferme un savoir-faire vieux de plus de deux siècles, ses artisans confectionnent les habits et accessoires de l’église catholique. Lors d’un séjour à Rome, j’ai pu visiter cette merveilleuse boutique, toujours dans son jus.


« Nobilitas in Tradition » : La Noblesse dans la Tradition

La maison porte bien sa devise. Depuis 1798, sous le pontificat de Pie VI, Giovanni Antonio Gammarelli commence sa collaboration avec les ecclésiastiques et en devient leur tailleur attitré. Sur leur site on peut lire que tout est confectionné à la main et sur-mesure dans l’atelier.

Vous trouverez même un guide de la prise de mesure en ligne !

Capture d’écran du guide de prise de mesures de la maison Gammarelli

Capture d’écran du guide de prise de mesures de la maison Gammarelli

Capture d’écran du guide de prise de mesures de la maison Gammarelli

Gammarelli est évidemment connu mondialement pour ses chaussettes rouges. Contrairement à ce qu’il est souvent mentionné, cette couleur n’est pas celle des mi-bas du Pape, mais des cardinaux. Le Pape ne porte que des chaussettes blanches, toujours de la même maison romaine.

Le bonnetier* décline ces mi-bas mythiques en dix couleurs comme visible ci-dessous. Les chaussettes noires sont réservées aux prêtres, le violet pour les évêques, le rouge pour les cardinaux et le blanc exclusivement pour le Pape. 

*j’ai mis “bonnetier”, mais à vrai dire il est peu probable que Gammarelli possède ses propres machines à tricoter, ils travaillent vraisemblablement avec un fabricant italien tel que Gallo.


[Mise à jour 14 janvier 2023 : Après échange avec Gammarelli sur Instagram, nous apprenons que leurs chaussettes sont tricotées à Brescia, le berceau d’un célèbre fabricant de chaussettes italien.]

Les chaussettes Gammarelli en fil d’écosse. De gauche à droite : bleu ciel, bleu marine, jaune cyan, vert menthe, violet aubergine, bleu pétrole, rouge cardinal, violet, noir et blanc.

Des chaussettes rouges sont disponibles même pour bébés !

Ces mi-bas sont proposés à la vente pour 11 € en magasin et 22 € sur le site Mes Chaussettes Rouges, le revendeur exclusif mondial de la marque.

Une boutique deux fois séculaires

Gammarelli confectionne également des costumes sur-mesure pour les particuliers. Pour passer commande, il faut se rendre en boutique.

Si vous vous rendez à Rome, faites une halte au numero 36 de la Via di Santa Chiara pour découvrir cette boutique légendaire pleine de charme.

La famille Gammarelli avec quelques artisans 

Des artisans cousant une tenue ecclésiastique

Le « zucchetto » – littéralement « petite citrouille » en Italien – est la calotte blanche du Pape. C’est le Pape Paul VI qui rend obligatoire ce couvre-chef pour les hauts membres du clergé en 1968.

Une soutane de cardinal en soie rouge côtoyant celle d’un prêtre

Une sélection de mi-bas

Les chapeaux des ecclésiastiques

Des coupons de tissus en soie rouge, noir et violet

Les portraits des différents Papes veillent sur la boutique Gammarelli

 

Catalogues de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne

 

En tombant sur un catalogue de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne lors d’une escapade parisienne, je me suis immédiatement rappelé du texte paru dans le livre de Éric Deschodt : So British.

 

Un Catalogue de la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne

 

Catalogues. Ceux d’Old England ont longtemps ressemblé à ceux de la non moins célèbre Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne. Pas d’esbroufe, du sérieux, du concret. Tous les articles en vente étaient présentés sous forme de dessins. Dessins au trait arides mais sincères, à mille lieues de l’esprit publicitaire qui pour séduire, déclencher et précipiter les décisions d’achat embellit toute réalité jusqu’à faire du moindre objet de ses soins, fût-ce le plus trivial du monde, un élément de la féérie universelle et permanente que serait la vie de tous les jours dans le monde de la consommation idéale.

Jusqu’en 1914, il est vrai, la publicité n’existait pas. On ne connaissait que la “réclame”, presque toujours autopromotion, faute d’agences spécialisées. Ses procédés étaient si grossiers qu’ils faisaient rire les enfants et touchaient surtout par l’attendrissement que ne pouvait pas manquer d’inspirer la naïveté de leur registre. Ce registre était souvent celui de l’exagération comique, comme si les maîtres en boniment refusaient de se prendre au sérieux, éprouvaient même une espèce de de gêne à vanter les qualités de leurs produits.

Old England ignore ces vulgarités. Les éléments de présentation les plus souvent reproduits à cette époque dans les prospectus de la maison expriment une réserve, voire un dépouillement, essentiellement aristocratique. Une devise, Quality First, et l’image d’un personnage souriant, qui teindrait le milieu entre le classique John Bull, effigie de la ténacité et de la pugnacité britannique, et le jovial marcheur du whisky Johnny Walker, suffisent à distinguer la maison. […]
Éric Deschodt, So British.

 

Sur les vêtements sur-mesure