Samuel Gassmann : l'artisanat de luxe français des boutons de manchette
/Histoire du bouton de chemise
L’aventure de Samuel Gassmann a commencé à la suite de recherches sur le plus petit élément du vestiaire masculin, l'idée étant de proposer ce sujet à la chaîne franco-allemande ARTE.
Première étape, la visite du musée de la nacre à Méru dans l’Oise, à proximité de Paris. Comme le souligne Samuel, bien souvent les musées émergent là où les industries s’effondrent. Et une industrie de poids. En effet, au XIXème siècle il s’agissait de la capitale mondiale du bouton de nacre. Des dizaines de milliers d’ouvriers du département travaillaient dans ce secteur en plein essor.
En continuant ses recherches sur ce qu’était un bouton de chemise, il a découvert qu’au au moment de la révolution bourgeoise de 1789, des codes très précis sur la forme et la fonction du bouton de chemise ont été crées. Pourquoi ? Pour des raisons pratiques essentiellement.
Les artisans de cette époque fabriquaient et revendaient via les Grands Magasins. Dès lors, comment différencier les boutons à destinations des chemises homme de ceux destinés aux femmes ? En employant un diamètre plus petit pour les boutons féminins.
Le résultat est un disque en nacre franche* (la nacre n’était pas aussi rare à l’époque) de 11 mm de diamètre, un rebord de 1 mm et avec 4 trous pour les hommes. Pour les femmes, les boutons ont les mêmes spécificités, si ce n'est qu'ils font 9 mm de diamètre.
Cette liste de détails correspond aux caractéristiques précises des boutons de jours. Car oui, il existe des boutons pour chaque moment de la vie quotidienne. 5 moments exactement :
Négligé : qui correspond au matin, en prenant le petit déjeuner en famille par exemple.
Jour : en nacre franche
Sport : oui à l'époque on portait des chemises pour faire du sport, au tennis par exemple. Les boutons présentaient un rebord de 2 mm pour plus de solidité.
Soir : nacre grise avec un rebord de 1 mm.
Apparat : pour les grandes occasions, le bouton étant généralement plat et symbolisé avec une gravure.
*la nacre franche est une variété de nacre très appréciée pour sa blancheur
Des caractéristiques que l’on retrouve encore aujourd’hui. Vous pourrez vérifier par vous-même, hormis les boutons fantaisistes - types chemises XOOS -, de gap à H&M en passant par Zara, tous vos boutons de chemises font 11 mm. Ce code n'a pas bougé depuis le XIXème siècle. Samuel me précise par exemple que chez Charvet ils sont plats avec un rebord symbolisés. (typique des boutons d'apparat)
Et qui disait boutons différents, disait chemise différentes pour chaque moment de la journée. Globalement aujourd'hui vous aurez remarqué que ce n'est plus vraiment le cas. Les chemises sont moins différenciées et tous les boutons se ressemblent plus ou moins. Excepté pour...les boutons de manchettes ! Les premières traces remontent au XIVème siècle, mais mais l’âge d’or des boutons de manchette durera du début du XIXème siècle jusque dans les années 1970.
Naissance de sa 1ère collection
Une question a très vite intéressé Samuel : est-il possible de trouver des formes et des matières qui expliquent par elles-mêmes comment les utiliser ? Presque dénué de tout design en un sens.
Venant de l’histoire de l’art, période 1907 1914 (cubisme, constructivisme, futurisme…), il s'inspire de l'esprit de l'époque : simplification de la forme pour accéder au réel et le rendre plus lisible. Toute la démarche de ses 3 premières collections repose sur cette idée. Un an et demi de créations et de simplifications des portraits obtenus. (un portrait étant un thème de boutons de manchette).
Un exemple de réflexion menée concerne le lien du bouton. On s'explique. Il y a 8 ans, quand il a commencé, les boutons de manchettes faisaient tous 90° avec un fermoir à bascule dont unqiement un côté qui présente une face "jolie".
Or l’angle d'un poignet mousquetaire (et ce quelque soit la morphologie de la personne) ne fait jamais 90°. Plutôt 45°. Un angle qu’a repris Samuel pour tous les boutons de sa collection.
On le conçoit, dit comme ça, ce n'est pas forcément très clair. En image ça devrait vous parler :
Toutes ces réflexions et recherches ont permis de créer les portrait jours et nuit. Pour les autres portraits, il a fallu procéder autrement. En effet, les familles qui fabriquaient des boutons de nacre n’ont, pour la grande majorité, pas laissé beaucoup de traces écrites sur le sujet. La transmission était majoritairement orale. La suite de ses recherches s’est donc déroulée en collaboration avec des artisans en activité, dans l'idée de voir ce qu’il était possible de faire. S’il l’on prend par exemple les trois catégories qui laisse le plus de liberté à la créativité :
Apparat : peu de documentations approfondies sur le sujet. Samuel utilise des matériaux qui ont une histoire. En bronze principalement. Pourquoi ? Parce que cette matière fut une des premières utilisées pour les bijoux homme. C'est une matière incroyable mais très peu employée en bijoux homme actuellement. Contrairement à l'argent.
Négligé : le troca, coquillage un peu moins cher, était vraisemblablement utilisé à l'époque. Mais en poussant un peu plus loin, (et en s'éloignant un peu de la théorie), Samuel a décidé d'employer d'autres matériaux comme l’ébène, le vison, le mouton, le cheveux, ou même de l’os de vache indienne (NDLR : c’est l’âme des vaches qui sont sacrées, et le corps importe moins, donc une fois morte…) et de la feuille d’or.
Sport : là encore la théorie n'est pas claire. L'idée de Samuel était donc de se demander ce qu'était un vêtement de sport. Pour lui il s'agit très souvent d'un vêtement support sur lequel l'on peut inscrire à quelle équipe l'on appartient. Comme pour une toile de peinture en quelque sorte. Un matériaux qui répondait à ce cahier des charges fût la porcelaine car facile à peindre.
Ce qu'on apprécie beaucoup, c'est qu'en partant de ce travail de recherche sur les boutons de chemises, ses boutons de manchettes ont fini par leur ressembler, s'éloignant ainsi de l'idée des boutons de manchette plus "voyant", plus "bling bling".
Autres collections
Par la suite, l'idée était de sortir du cadre des recherches initiales sur le bouton et d'initier une autre démarche, un peu plus "fun". Samuel m'explique un peu sous la forme d'une boutade, que puisque que personne ne porte de boutons de manchette, autant être original. Une boutade car les Grands Magasins américains en sont friands.
Il créé alors portraits sur le Temps, sur Mondrian, sur le Corps ou encore l’Alphabet avec un typographe. Il sort du cadre de la simple paire de boutons de manchette, pour raconter une autre histoire. Ainsi pour l'Alphabet, il y a les 26 lettres. Dans ce cas aucun bouton ne va forcément de pair avec un autre, plusieurs combinaisons sont possibles.
Enfin, cette recherche initiale de luxe discret fût étendue à d’autres accessoires : porte-clés, nœuds papillon et cravates (en collaboration avec la maison Boivin), bagues...
Pour les cravates par exemple, elle sont 100% soie (et sans triplure) mais surtout...9 plis. Quelque chose que on n'avait pas encore vu, même s'il est vrai que des maisons italiennes en produisent également. Avis aux amateurs....
Fabrication
Les boutons de manchettes sont fabriqués à la main dans son atelier parisien. Plusieurs étapes sont nécessaires : le polissage, la soudure...Des connaissances que Samuel a apprises sur le tas, en travaillant notamment avec d'autres artisans ou en créant ses propres techniques. Comme pour l'utilisation de la feuille d'or. Le bouton étant amené à frotter régulièrement, un procédé spécifique a dû être créé.
Pour les savoir-faire vraiment très pointus, il est amené à travailler avec d'autres entreprises. Ses bagues ont pu voir le jour grâce à l'alliance de la haut technologie et de l'artisanat.
La 3D permet de créer le moule de la bague via ordinateur. On arrive à des degré de pureté et une précision incroyable. Quelque chose qu'on ne pouvait avoir avec la main...Avec ces nouvelles techniques, le travail se concentre beaucoup plus sur l'idée et le dessin.
Les diamants "tailles en rose" - qui ont la particularité d'être à fond plat - ont été façonnées par des artisans
Note : Pour ceux qui se demanderaient, tous les boutons de ses collections font 11 mm, et le plupart sont réalisées en nacre et argent. (et le reste en bronze, porcelaine, cuir..)
Distribution
Les boutons et autres accessoires sont disponibles sur son e-commerce ou via les Grands Magasins (Barneys, United Arrows, Bon marché - à côté des cravates au sous-sol -...). Disponibles également chez Maison Degand à Bruxelles.
Un atelier-boutique devrait vraisemblablement voir le jour l'année prochaine à Paris. Un lieu où toute la collection sera disponible ainsi qu'une offre sur-mesure. A suivre !