Crockett & Jones - Harvard cordovan penny loafers
/Note : A notre demande, Crockett & Jones a accepté de nous offrir une remise à l’achat pour la réalisation de cet article.
« Chaussure à tige basse et à semelle rigide qui recouvre le pied ou une autre partie du pied ». Voilà comment le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales définit le mot « soulier ». Un mot aujourd’hui désuet, qui fait son apparition dans la langue française au XIIIème siècle. Pour autant, le terme se glisse sémantiquement dans les expressions de la vie courante et devient même une catachrèse ; ainsi, « être dans ses petits souliers » signifie « être mal à l’aise ou se trouver dans une situation embarrassante » ; « mettre son pied dans les souliers de tout le monde » renvoie au fait de s’immiscer dans les affaires de tout le monde. Aussi, « ne pas avoir de souliers » est le symbole d’un état de complet dénuement ; enfin « mourir dans ses souliers », le résultat d’une mort soudaine. Le mot « soulier » semble intimement lié aux humeurs et habitudes de l’être humain, comme pour le décrire fondamentalement.
Je me souviens de la première fois où j’ai préféré utiliser le mot « soulier » pour une « paire de chaussures ». C’était il y a 5 ans, mon père m’offrait ma première paire de Crockett & Jones. Un derby brogue en cuir grainé marron au bout fleuri et semelle gomme. Le modèle « Pembroke », pour les connoisseurs. Année après année, ma collection grandissait tout comme mon envie ultime : acquérir une paire en cordovan, le fameux « shell cordovan ». Un cuir issu de la croupe du cheval qui fait moins de 0,5 m2 . Puis j’ai découvert le modèle « Harvard » en cordovan de Crockett & Jones, un penny loafer complètement Ivy.
Décryptage.
Crockett & Jones, Northampton et Paris : un trio gagnant
James Crockett et Charles Jones fondent Crockett & Jones en 1879 à Northampton, berceau de l’art bottier anglais. Il faudra cependant attendre 1998 pour que la première boutique française – deuxième au monde après celle de Jermyn Street à Londres – ouvre ses portes à Paris, au 14 Rue Chauveau-Lagarde, à deux pas de la Madeleine. Un établissement couvrant aujourd’hui 160m2 exposant la double collection « Hand Grade » et « Main Line ».
C’est dans cet écrin que nous nous rendons avec Thomas, par un beau jour d’automne. Une atmosphère feutrée se dégage dès l’entrée, nous comprenons que nous pénétrons dans un « club ». Les fauteuils et canapés en cuir marron foncé répondent aux boiseries qui font écho à une authentique boutique d’antan « à l’anglaise ». Il y a des souliers partout. Perspicace pour une boutique dont c’est la spécialité, mais l’écrin referme de véritables petits bijoux. Cerise sur le gâteau, il y en a vraiment pour tous les goûts : richelieus, derbies, mocassins à boucle(s), bottines, boots, tassel loafers, penny loafers et même des slippers. Crockett & Jones représente ce « flegme british » européanisé : la maison habille James Bond et même OSS 117 !
Le penny loafer « Harvard » : le cordovan à ses pieds
Je me dirige vers le fond de la boutique où est exposé le modèle tant convoité : le penny loafer « Harvard » en cuir cordovan. Ayant déjà une paire de mocassin chez Crockett & Jones – le modèle « Boston » en cuir marron grainé – je demande à essayer la même taille, soit 6,5 UK. Ces deux mocassins présentent un « last » - soit la forme du bout du soulier – identique : 314. Une forme plus ronde que ses compères 341 ou 375 par exemple. J’apprécie particulièrement cette forme car elle n’est pas trop prononcée, les souliers « pointus » ne me vont pas du tout.
Le cordovan utilisé par Crockett & Jones provient de la tannerie américaine Horween. Une tannerie d’exception fondée en 1905 à Chicago. Très peu de tanneries dans le monde produisent du cordovan – étymologiquement, « cordovan » provient de la ville Andalouse « Cordoue », premier lieu de manufacture de ce cuir chevalin déjà au XVIème siècle – Horween est indubitablement la plus connue pour ses coloris caractéristiques. L’histoire de cette tannerie est assez fascinante et ne se limite pas à la simple confection de cuir cordovan. En effet, elle produit également le cuir employé pour la confection des ballons de basket-ball « Spalding » de la NBA, le fournisseur officiel de la ligue. Je vous déconseille cependant de porter vos mocassins pour la pratique de toute activité sportive.
Le mocassin Harvard jouit d’une confection Goodyear, une semelle cuir – je n’avais pas encore posé fer et patin le jour du shooting – et un intérieur non doublé. La paire est remarquablement confortable dès le premier chaussant, comme des pantoufles d’intérieur ! Je comprends d’emblée que la paire ne fera pas apparaître des ampoules aux pieds. A noter cependant que le cordovan est un cuir qui ne va que peu se détendre, il est donc crucial de se sentir bien dès le premier essayage.
D’ailleurs, pourquoi ne dit-on pas « mocassin » en Anglais ? Car il décrit une paire de chaussures réalisées dans un cuir de cerf ou un cuir souple. Au fil du temps, il a fini par désigner la famille des penny loafers ainsi que des tassel loafers. En Anglais, les « loafers » désignent ainsi des souliers dépourvus de laçage. Pour cette raison fort pratique, je porte assez fréquemment des penny loafers – sans pour autant insérer un penny sous le plastron comme le faisait les étudiants des universités de l’Ivy League afin de pouvoir passer un appel à n’importe quel moment si besoin, d’où l’appellation « penny loafer » – je ne crois pas qu’ils soient exclusivement réservés à des tenues habillées.
Pour cette raison, je sélectionne une tenue avec un pantalon 5 poches blanc – je n’emploie volontairement pas le mot « jeans », strictement réservé à son homologue bleu – des chaussettes crème, un col roulé écru et une veste Teba. Le pantalon et les chaussettes proviennent d’Uniqlo, le pull écru de la marque danoise Andersen Andersen – teaser – et la veste Teba à motifs Prince de Galles de Justo Gimenovia Beige Habilleur. Avec cette tenue, j’ai voulu forcer le côté monochrome/camaïeu blanc/crème. En effet, lorsque vous souhaitez porter du blanc en haut et en bas, il vous suffit d’opter pour deux teintes différentes, pour éviter le « full-white outfit ».
La couleur chocolatée du cuir cordovan – tirant parfois sur le violet – permet d’associer ce type de souliers avec n’importe quelle tenue, ce qu’on nomme expressément « passe-partout ». Le cordovan est un cuir rare donc cher. Une paire comme celle-ci sera donc « une pièce d’investissement ». Acquérir une paire permet, selon moi, de consommer différemment et de faire marcher une économie plus responsable et éthique ; c’est un aspect qui me plaît beaucoup, d’autant plus dans le climat actuel où le slogan « buy less but buy best » prend tout son sens.
Je vous conseille simplement d’essayer directement en boutique avant de franchir le pas de l’achat afin de voir comment vous les sentez aux pieds. Mon expérience personnelle me pousse à dire que les souliers en cordovan n’ont pas d’équivalent. Finalement, je préfère l’emploi du mot « souliers » à celui de « chaussures » lorsqu’ils décrivent des pièces belles, bien faites et qui durent dans le temps. Les penny loafers « Harvard » tombent dans ces catégories.
Après tout, l’habillement des pieds de James Bond et OSS 117, ne mérite-t-il pas l’appellation de « souliers » ?
Entretenir ses souliers en cordovan
Les souliers en cuir cordovan sont sacrés pour certains…Et beaucoup de choses ont été écrites sur ce cuir hippique. Pour l’entretenir au mieux, je vous propose de découvrir mes conseils d’entretien.
Ma routine s’articule autour de 3 étapes :
Je commence par brosser les souliers pour en enlever la saleté et la poussière. Une brosse en crin de cheval – plus douce – est à privilégier. Je m’arrête généralement à la première étape car le cuir cordovan n’a pas besoin de beaucoup d’entretien et un brossage régulier suffit à l’entretenir efficacement. Attention toutefois à toujours utiliser des embauchoirs à l’intérieur de ses souliers pour en garantir la forme et la longévité.
Je n’applique la crème Saphir spécial Cordovan que très rarement et avec une grande parcimonie. Généralement tous les 20 ports. Sinon, pour faire briller la paire, j’ai une petite astuce : j’utilise un vieux collant féminin et je frotte l’ensemble de la paire en suivant un mouvement circulaire.
Pour enlever les petites griffures qui pourraient apparaître, j’utilise un instrument quelque peu chamanique : le fameux deer bone ou os de cerf. L’utilisation est très simple : on frotte le creux de l’os sur les surfaces à traiter ou bien on le roule sur le plateau du soulier. Je le trouve efficace mais vous pouvez bien sûr vous en passer, nul doute que cela participe au folklore du cordovan. Comptez entre 20 et 30 euros pour ce type d’accessoire. Le mien vient de l’eshop scandinave au nom imprononçable : Skoaktiebolaget.
Si vous remarquez l’apparition d’une substance blanchâtre après quelques ports, il ne faut surtout pas s’inquiéter ! Il s’agit d’une partie de la liqueur qui sort du cuir au cours de la flexion naturelle de la chaussure et de son usure. Cette substance est facilement nettoyable avec un chiffon sec ou humide, puis brossez : rien de plus !
Je vous déconseille cependant de porter vos souliers en « cordo » par temps humide ou de pluie, bien que ce cuir soit très résistant. Le cuir cordovan se patine et vieillit sublimement avec le temps, laissez-le faire.