La Tannerie Bastin de J.M. Weston : le tannage végétal extra-lent
/“Maintenant vous savez sur quoi vous marchez”.
Ainsi se termine la description de la tannerie Bastin dans le merveilleux ouvrage de Didier van Cauwelaert. On se demande d’ailleurs si l’épaisse couverture cartonnée de plusieurs millimètres n’est pas un clin d’oeil appuyé aux solides semelles en cuir qui font la joie des Westonniens depuis des décennies.
Remonter la fillière
Lorsque l’on nous a proposé de visiter la tannerie Bastin en plus de la manufacture J.M. Weston, c’est avec une joie non dissimulée que nous avons immédiatement accepté. Il faut dire que c’était l’occasion de visiter notre première tannerie, et pas des moindres, parmi les plus iconiques au monde. Enfin nous allions mieux comprendre l’ensemble de la chaîne de production d’une belle chaussure. Remonter une partie de la filière pour découvrir tous les ingrédients qui entrent en jeu.
Direction Saint-Léonard-de-Noblat, le village médiéval qui a vu naître un certain Raymond Poulidor. Tout comme ce champion cycliste a bataillé avec plusieurs générations de coureurs, de Jacques Anquetil à Eddy Merckx, la tannerie Bastin est un champion à la longévité exceptionnelle. Située à une trentaine de minutes de la manufacture Weston, elle est au coeur du territoire Limousin. On peut même parler de terroir tant la culture traditionnelle d'élevage de bovins et d'industrie textile y sont présentes depuis des générations.
Le directeur de la tannerie, Sébastien Mariel, nous fait la visite. Cela commence par la chambre froide où sont entreposées les centaines de peaux qui serviront à produire les semelles Weston. Car oui, la tannerie Bastin, fabrique deux types de cuir : celui de la semelle extérieur mais aussi la première de montage.
Afin de garantir son approvisionnement, J.M. Weston a décidé de racheter en 1981 la tannerie Bastin, celle qui fournit la marque depuis ses débuts. Elle travaille également avec d’autres marques de renom tel que Rondini, les célèbres sandales tropéziennes.
D’où proviennent les peaux des vaches* ? Les meilleurs d’Autriche, de la race bovine simmental. Une vache rustique qui possède une peau très épaisse et dense, idéale pour produire des semelles en cuir de la meilleur qualité possible. Par qualité l’on entend épaisses et résistantes. Et c’est pourquoi la tannerie Bastin est toujours à la recherche des peaux les plus épaisses, celles qui se font les plus rares.
Pour ce faire ils sélectionnent uniquement les croupons, soit la partie la plus épaisse et la plus ferme d’une peau de vache. Physiquement cela correspond au dos et à la croupe de l'animal.
Des peaux françaises sont également utilisées (des limousines), mais de nature moins épaisses elles sont utilisées pour les premières de montage.
*Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les peaux de vaches sont plus denses que celles des boeufs et taureaux et c’est pourquoi la tannerie Bastin travaille uniquement avec des peaux de vaches.
LE TRAVAIL DE RIVIÈRE
Une succession d’étapes avec un objectif majeur : rendre la peau imputrescible, elle ne pourrira plus avec le temps.
Avant de pouvoir tanner la peau, il faut d’abord la nettoyer. Le sel, les poils, les restes de la chair doivent être ôtés.
On parle de travail de rivière car autrefois les peaux étaient d’abord directement trempées dans la rivière pour les ramollir. Aujourd’hui ce travail a lieu dans de grands foulons, sortes de machines à laver géantes.
Les peaux sont par la suite trempées dans un mélange de chaux qui permet aux poils d’être facilement détachés.
Une fois ce premier nettoyage fait, elles sont écharnées à la machine pour extraire les morceaux de graisse et de tissus sous-cutanés qui restent. Puis on les trempe à nouveau dans un mélange acide afin d’en ouvrir les pores et ainsi favoriser l’absorption des tannins végétaux lors du tannage.
Sur les trois sens qui nous animent, une tannerie sollicite donc d’abord l’odorat. Les odeurs évoluent d’ailleurs au fil de la visite. D’abord très acides elles sentent au fur et à mesure le cuir, les tanins végétaux, le bois et les huiles.
POUSSER LA BASSERIE
Viens l’opération de tannage proprement dite. Le travail de basserie, ce n’est ni plus ni moins que le fait de tremper les peaux dans différents bassin qui sont de plus en plus concentrés en tannins. Ils vont progressivement se fixer sur la peau et la rendre imputrescible.
Chez Bastin ce tannage végétal se fait uniquement avec de la poudre de châtaignier et de la poudre de quebracho, une espèce d’arbre originaire d’Amérique latine.
Pourquoi le tannage végétal ? Parce que c’est le plus résistant et que par définition une semelle se doit d’être la plus résistante possible. Les différentes formes de tannage ne s’opposent d’ailleurs pas nécessairement. Si la recherche de procédés de tannage rapides a permit l’essor du tannage au chrome, il faut également rappeler qu’ils correspondent aujourd’hui à des usages différents.
Le tannage minéral (au chrome par exemple) est parfaitement adapté au cuir de la tige, celui qui recouvre la partie haute de la chaussure. En effet, le tannage végétal ne supporte aussi bien les différents traitements qui peuvent être fait lors du montage de la chaussure : passage dans des fours à vapeur, étirement…Un cuir au tannage végétal est beaucoup moins résistant au delà de 70°, là où l’on peut monter jusqu’à 110° pour un cuir tanné au chrome.
Le tannage au chrome s’étire ou se colore aussi beaucoup plus facilement et avec un panel de teintes plus large. Le tannage végétal supporte lui d’avantage les teintes foncées.
Par contre un tannage végétal c’est ce qu’il y a de plus difficile, exigeant et long à obtenir. Un traitement tellement long que les défauts ne seront visibles que lors des dernières étapes, à la sortie de la fosse, soit plus de un an après le début de leur transformation. C’est dire si toutes les étapes doivent être rigoureusement respectées sous peine de gâcher de longs mois de travail.
En terme d’environnement, les deux formes de tannages sont très contrôlées et surveillées. À ce titre, la tannerie Bastin possède sa propre station d’épuration. La France a d’ailleurs l’une des législations les plus strictes en la matière.
LA MISE EN FOSSE : laisser du temps au tan
Ce qui nous le plus impressionné, la méthode ancestrale de mise en fosse. Les peaux sont empilées les unes sur les autres dans des cuves. Entre chaque couche, un lit d’écorce de chêne broyé est déposé, à la manière d’un millefeuille. On y ajoute de l’eau et du jus de de châtaignier avant de laisser les tannins agir, entre huit et dix mois.
Si en sortie de basserie l’on obtient déjà du cuir, la qualité obtenue n’est pas encore celle attendue. Un peu comme si le cuir en sortie de basserie était un Beaujaulais nouveau. C’est certes du vin mais sans doute pas le meilleur.
Par contre, le cuir qui va sortir de la fosse, c’est un peu l’équivalent d’un grand cru de Beaujolais. Cela reste du vin, mais la qualité n’est pas la même. Le travail fourni non plus.
Cette mise en fosse a donc un vrai intérêt technique. Elle permet de fixer les tanins très fortement. Le cuir obtenu est plus dense, plus épais et plus résistant.
Le corroyage : Nourrir les cuirs
Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est possible de ressemeler plusieurs fois sa paire Weston. Jusqu’à cinq fois a-t-on coutume de dire. Or la semelle extérieur est piquée (cousue) sur la première de montage. Autrement dit la première de montage doit supporter plusieurs piquage et dépiquage sans sourciller. Car démonter une première de montage est une autre histoire.
Le travail de nourriture se révèle alors indispensable. Il permet justement d’assouplir le cuir et augmenter les propriété de résistance à la déchirure. Il se fait à sec (sans eau) à l’aide d’un mélange d’huile de foie de morue et d’huiles synthétiques.
C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la première de montage est plus clair que la semelle extérieur : elle contient de plus de graisses pour être plus souple.
DE-RIDAGE
Les peaux passent ensuite sur une machine qui enlève les rides en aplanissant les peaux. Le séchage peut alors se faire dans des chambres de sèche par déshydratation à 25°C maximum pour ne pas agresser le cuir.
Le même principe s’applique d’ailleurs si vous marchez sous la pluie : sécher votre paire loin d’une source de chaleur pour qu’elle conserve toute sa résistance.
LA FINITION
Les peaux passent ensuite sous un marteau pilon de 10 tonnes. Une des rares tannerie à toujours procéder de là sorte. Tout comme la mise en fosse, l’intérêt est avant tout technique. Cette étape permet de gagner en résistance et étanchéité.
La tannerie possède également un rouleau plus moderne pour effectuer cette étape, mais le résultat n’est pas le même : le cuir obtenu est plus souple, moins résistant.
Les peaux sont ensuite triées et rangées selon leur qualité, 1er choix ou 2nd choix. Elles sont alors vendues au poids et non à la surface comme pour les cuirs utilisés pour la tige. L’épaisseur est valorisée. Et plus la peau est épaisse, plus elle est lourde et donc chère.
dernière étape
La tannerie dispose également des outils d’emporte-pièces J.M. Weston pour réaliser directement sur place les semelles de la marque.
Ainsi, pour reprendre l’expression de Didier van Cauwelaert, “Maintenant vous savez sur quoi vous marchez”.