J.M. Weston, “La déraison raisonnable”
/Note : Cet article est le point de vue humble de trois passionnés de chaussures et de vêtements masculins.Nous en sommes ressorti avec un fort sentiment de fierté. Fierté nationale de produire encore parmi les plus beaux souliers du monde.
De telles manufactures se comptent sur les doigts de la main en France mais aussi dans le monde. Et ceux d’autant plus que Weston possède également sa propre tannerie pour les semelles en cuir. On n’a pas à rougir face à l’industrie de Northampton en Angleterre.
Lundi 22 mars 2023. Paris Austerlitz 6h30. Direction Limoges.
Après 3h30 de train nous voilà arrivé dans la capitale limougeaude. Un taxi nous attend pour aller visiter l’une des dernières manufactures française de chaussures qui fait le bonheur de tous les Westoniens.
La gare vaut d’ailleurs le détour. Un chef d’oeuvre Art Déco inscrit au titre des monuments historiques depuis 1975.
Mais prenons le cap vers la Manufacture en périphérie de Limoges.
Avant Propos
Notre premier contact avec une chaussure c’est d’abord son esthétique, sa forme. C’est le point d’entrée, ce qui nous est directement accessible et qui est sans doute l’un des critères de désidérabilité le plus important. De l’extérieur, beaucoup de chaussures neuves sont belles. Mais bien peu de nous ont la chance de pouvoir en voir l’intérieur, le coeur de la bête. Le plus dur est là.
Faire de belles chaussures à l’intérieur et à l’extérieur, voilà le plus difficile.
En visitant la manufacture, nous avons pu voir toutes les étapes de fabrication d’une paire J.M. Weston. Loin d’opter pour la facilité en refusant de choisir des matériaux économiques pour les parties invisibles, J.M. Weston reste fidèle à sa quête d'excellence. Les éléments cachés, tout aussi importants que ceux visibles, sont conçus et choisis avec le même souci de qualité.
Toutes les étapes de fabrication sont réalisées à la manufacture, y compris une partie de ses baskets depuis quelques années. Il n’est donc pas étonnant qu’elle s’étend sur quelques 10 000 m² et y emploie jusqu’à 200 personnes.
Le cuir
La sélection des cuirs subit un choix draconien. Un tri qui se fait visuellement mais aussi au toucher.
Sur une peau classique de type veau box - un cuir de veau tanné au chrome très lisse d’environ deux mètres carrés - il est possible de réaliser entre quatre et cinq paires par peau.
La couleur pouvant légèrement varier d’une peau à l’autre, chaque paire est nécessairement faite dans la même peau. C’est la règle de “la paire dans la peau”.
J.M. Weston utilise plus de 90% de cuir français - les 10% restant concernent principalement les peaux exotiques. Ils travaillent par exemple toujours avec les Tanneries du Puy, propriété de la maison jusqu’en 2015.
Cette approche méticuleuse et respectueuse du cuir contribue à forger l'identité unique des chaussures J.M. Weston, où la tige* devient bien plus qu'une simple "carrosserie" – elle incarne l'engagement envers l'authenticité et la durabilité, même dans les détails souvent négligés.
Nous parlerons des semelles en cuir dans un prochain article, celles-ci étant fabriquées par une tannerie appartenant à J.M. Weston, la tannerie Bastin au tannage végétal extra-lent.
*la tige est correspond au cuir qui recouvre la partie supérieur de la chaussure
La coupe
Une fois le cuir de la tige sélectionné, il arrive à l’étape de la coupe. Chacune des parties qui composent la tige sont découpées pour pouvoir être assemblées par la suite.
On fait référence à la Claque (partie avant de la tige), aux Garants (les deux parties de la tige qui portent les lacets), au Bout (extrémité avant de la tige) ou encore aux Quartiers (pièces de cuir rapportées sur l'arrière de la tige). Ou même la Languette que vous connaissez déjà.
Chez J.M. Weston cette étape peut être réalisée selon trois processus différents. Du plus manuel au plus automatisé, car la marque ne refuse jamais le progrès technique lorsque celui-ci apporte un véritable intérêt.
Les peaux exotiques sont toujours coupées à la main à l’aide d’un tranchet. Les autres cuirs passent quant à eux plutôt par une machine automatisée à découpage laser. Ils peuvent également être coupés de manière plus manuelle à l’aide d’un emporte-pièce, une sorte de moule à découper qui ressemble à ce qu’on peut utiliser en pâtisserie.
Le montage de la tige
À l’image de ce qui peut se passer pour un vêtement, une fois les différentes parties de cuir coupées, elles rejoigent une autre partie de la manufacture où sont réalisées toutes les opérations de piquage, autrement dit de couture.
Le mocassin 180 étant le bestseller de la marque, sa tige bénéficie de sa propre chaîne de production, une équipe de couturières - on parle de mécaniciennes - spécialement dédiées à la réalisation de sa tige.
Vous pouvez voir quelques exemples ci-dessous.
Pour la mythique Chelsea Cambre, le montage nécessite moins de coutures. Car oui, la tige du modèle Cambre est coupée en une seule pièce de cuir. Chose assez peu commune, il n’y a pas de coutures latérales. Seulement une à l’arrière ainsi qu’au niveau des élastiques.
Pour ce faire la tige est mise en forme sur un gabarit en bois. Humidifiée, la peau s'allonge sous l’effort de traction et tend à conserver de manière plus ou moins permanente cet allongement. On parle aussi du prêtant du cuir.
Cette mise sur bois est une technique assez unique qui permet non seulement de donner une ligne très pure à la chaussure mais aussi de minimiser les risques d’apparition de plis de marche.
La « mise en humeur » dans la « salle des mariages »
Il n’y pas que les tiges des cambres qui sont « mises en humeur », c’est-à-dire humidifiés pour augmenter leur malléabilité. Devenues plus souples, elles résisteront mieux aux différents traitements brusques auxquels ils vont être soumises par la suite.
Les autres tiges sont également « mises en humeur » dans la « salle des mariages » et ce pendant au moins 24 heures nous précise-t-on. En d’autres termes il s’agit d’une salle de stockage des tiges avant le montage où l’on va marier les semelles avec la tige.
Cela ne se perçoit pas sur nos photos ci-dessous, mais cette pièce est bien vraiment très humide, de la vapeur d’eau s’en échappe lorsque vous y pénétrez.
Le parc à formes
Autre salle impressionnante que comprend la manufacture : le parc à formes.
Il s’agit du lieu où sont stockées toutes les formes utilisées par la marque. C’est sur les formes que vont être galbées les tiges afin d’être montées sur les semelles.
Un forme par demi-pointure et par largeur. Le tout multiplié par deux pour chaque côté, droit et gauche.
On arrive à un total de plus de 40 000 formes ! Assez considérable. De quoi être (presque) sûr de trouver chaussure à votre pied.
Montage : assemblage de la tige et semelle
Les premières de montage sont fabriquées à la manufacture. La semelle qui sert de première de montage est fournie par la tannerie Bastin.
Puis vient vient la réalisation du mur qui permettra de lier ensemble la tige, la trépointe et la première de montage. Nous avons vu plusieurs types de premières de montages : à mur gravé avec entoilage ordinaire ou entoilage pour bottes ainsi qu’à mur collé.
En l’occurence, les premières de montage ci-dessous sont à mur rapporté - c’est à dire qu’un mur est rajouté, collé et renforcé à l’aide d’un entoilage - en blanc.
Lorsque la tige et la première de montage sont prêtes, elles peuvent être assemblées.
J.M. Weston pratique plusieurs type de montage. Le Goodyear évidemment, technique inventée aux États-Unis et rapportée par Eugène Blanchard, le fils du fondateur de la marque. Mais aussi le célèbre cousu Blake, par exemple pour le 180 léger.
Ci-dessous vous pouvez voir que la première de montage est placée sous la forme. La tige est également sur la forme et est solidaire de la première de montage grâce à des agrafes cloutées manuellement. Cela n’a l’air de rien, mais cette opération est assez physique, la tige doit être galbée et tendue correctement sur la forme.
À cela s’ajoute la pose de la trépointe caractéristique du montage GoodYear. Vous noterez qu’à cette étape les paires dont la peausserie est fragile sont dites “coquillées”, c’est à dire recouvertes d’un film plastique qui évite d’abîmer la tige pendant les étapes suivantes.
Ci-dessous la couture de la trépointe sur le mur de montage de la première.
Prélude à l'union avec la semelle d’usure*, un garnissage en liège véritable est ajouté entre la première de montage et la semelle extérieure en contact avec le sol. Sans oublier le cambrion en bois de hêtre placé sous la voûte plantaire, élément ô combien important, une sorte d’amortisseur.
*autrement dit la semelle extérieure qui foulera le bîtume
Une fois la semelle d’usure placée, un sillon est creusé dans la semelle sur son pourtour. On parle aussi de gravure. C’est dans ce sillon que sera réalisée la couture qui va unir cette semelle d’usure à la trépointe et donc à l’ensemble de la chaussure.
Cette couture est protégée en refermant la gravure, étape qui sera réalisée de manière définitive à la cire chaude lors du bichonage.
Un marquage petit point est ensuite réalisé, il aide notamment à enfoncer la couture dans la trépointe.
Reste la pose du talon (en bois la plupart du temps) et les finitions à l’atelier dit de bichonnage.
Les chaussures sont entre autres cirées et équipées de leurs premières de propretés. Elles sont prêtes à rejoindre les boutiques.
Le Derby Chasse de J.M. Weston : Un Art Bottier Raffiné
Comment visiter la Manufacture J.M. Weston sans parler du Derby Chasse ? Créé dans les années 1930, il constitue encore de nos jours un des modèles emblématiques de la chaussure masculine.
Il faut dire que le Derby Chasse révèle une série de détails techniques assez pointus, tels que le montage norvégien cousu main avec des fils de lin poissés, le montage avec murs gravuré ou encore le nez jointé, témoignant ainsi de l'expertise artisanale de J.M. Weston.
Conçu à l'origine pour la randonnée en montagne, le Derby Chasse offre une étanchéité fiable et une solidité appréciable. Au pied, il se distingue par sa fermeté et son endurance avec des durées de vie dépassant fréquemment les trente ans.
Le montage norvégien cousu main prend une journée par paire. Sans compter que les fils sont fabriqués en interne : 17 brins de lin sont assemblés et recouverts de cire et de résine (on dit poissés) pour les rendre imputrescibles et imperméables. Autrement dit, il faut du temps ! Jusqu’à plusieurs mois au total si on additionne toutes les différentes étapes.
La réparation et le club des cloches
Une marque qui est prête à voir ses chaussures revenir, c’est évidemment très bon signe. Il faut avoir confiance dans ses montages, son cuir et sa capacité à les remettre rapidement à nouveau en état. Sans compter que cela permet d’avoir une amélioration continue, les éventuels défauts peuvent être très vite ajustés.
Ci-dessous un exemple entre l’avant et l’après.
Très peu de marques proposent ce service hormis peut être également un John Lobb.
Quelques 10 000 paires passent par ce service chaque année. Que ce soit pour un ressemelage, une teinture, une réparation…D’ailleurs, quand les paires ressemelées reviennent de la manufacture, leurs semelles arborent l’intiale “W” inscrite à l’intérieur de ce qui ressemble à une cloche - en fait il s’agit des contours de l’arc de triomphe du logo de J.M. Weston. Les possesseurs de telles paires font ainsi partie du fameux club des cloches.
On vous laisse avec une dizaine d’images de la manufacture en grand format qui, on l’espère vous plairont.
Thomas, Mathieu et Marcos.