Les Indispensables

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Interview de Christophe Loiron par Hell’s Kitchen

Retour en 2009 avec cette interview de Christophe Loiron pour le site Hell’s Kitchen - fermé depuis. En fouillant sur web.archive.org on s’est dit qu’il serait intéressant de vous la repartager car elle n’a pas vieillie.

Bonne lecture.



Hell’s Kitchen : Peux-tu te présenter personnellement ? Pourquoi as-tu quitté la France pour Los Angeles ? Qu’est-ce qui t’a attiré dans cette ville ?

Christophe Loiron : Je suis arrivé à Los Angeles à 24 ans en 1990. Histoire de voir si l’herbe était plus verte. Rêve de gamin. Je suis de la télé génération « Au nom de la Loi », « Mystères de l’Ouest » et « Hawaii Police d’Etat », donc il a fallu que j’aille voir sur place dès que l’occasion se présenta.

J’en suis revenu maintenant, mais à l’époque, rien de ce qui était Français m’intéressait culturellement. Je n’avais aucune idée d’où se trouvait la Corrèze, mais je savais plein d’autres infos inutiles ! Genre je savais qu’Elvis se fournissait en chemises chez Lansky Bros à Memphis et qu’il portait sa boucle de ceinture sur le coté pour ne pas rayer le dos de sa guitare. Je rêvais ricain. Il faut dire que, nous, on avait Dave, eux, ils avaient James Brown…

L.A., c’est le hasard des rencontres. Je jouais du Rockabilly à Aix en Provence avec mon pote Karim, à la fin des années 1980, et on a rencontré ce gars de Californie, contrebassiste, en jouant dans les rues aixoises. Un ricain brut de fonderie qui nous racontait des histoires sur Hollywood, et à l’époque, venir de L.A., pour nous, ça parlait ! Karim est resté tranquille sur Marseille, et moi, je suis parti voir la-bas si j’y étais.

En fait, ce sont les premières notes de « Race with the Devil » de Gene Vincent & his Blue Caps qui m’ont pavé le chemin pour finir ici.

J’ai d’abord atterri à O.C. (Orange County) puis j’ai décidé d’aller dans la cour des grands, direction L.A.

Là, les opportunités fourmillaient. Petits métiers et puis la fripe m’a fait gagné mon premier dollar.


Hell’s Kitchen : Comment est né ton intérêt pour le workwear américain ? Est-il plus intéressant que le français ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans le Made In USA? C’est le seul pays de production sur lequel tu te focalises ou d’autres t’intéressent ?

Christophe Loiron : C’est un mélange d’images de mes «héros» de jeunesse que j’ai toujours vu en cow-boy, mataf, aventurier ou rebelle, à l’écran. Ca marque.

C’était refiltré par les talentueux costumiers des studios d’Hollywood, et ça avait toujours de la gueule. «L’équipée Sauvage», «La Canonnière du Yang-Tsé», «Luke la main froide», etc…Tous ces gars, les McQueen, Brando, Bronson, Newman, etc avaient toujours une dégaine pas possible dans leurs films. Fringues patinées et cuites au soleil, et on avait l’impression qu’ils étaient venus au tournage avec leurs propres sapes.

Mon père, baroudeur et grand passionné de chevaux et western movies, m’emmenait dans ces « stocks américains » (à l’époque où ça voulait dire quelque chose) avec des piles de jeans brut, des sacs militaires, des pioches et autres bidules…

La caverne d’Ali Baba. Tu sortais de là habillé comme Hud !

En France, il y avait Ventura dans «100 000 Dollars au Soleil»… Le chino roulé, combat boots et t-shirt blanc. Beaucoup de rêveurs de contrées lointaines portaient du surplus militaire US.

Pour la faire rapide, le work francais tourne autour de la moleskine, le US du denim. Tous les deux sont simples et pas fashion a l’origine. Ils se recoupent par l’indigo, qui semble être une constante mondiale pour les vêtements de travail. On trouve parfois des bizarreries, comme les bourgerons chevronnés blancs lin/coton de l’Armée Française coloniale. J’imagine toujours les pauvres gars qui cassaient du cailloux à Biribi en pantalon blanc…

Maintenant j’aime les deux styles, mais a l’époque j’étais plus attiré par le denim que par le bleu de chauffe, plus railroad worker que cheminot SNCF…

Je respecte beaucoup le Travail, et les gens qui transpirent pour gagner leur croûte. J’aime les bleus de «Des souris et des Hommes», les gars qui portaient ça gagnaient leur vie de façon plus respectable que certains boursiers, d’après moi…

Hell’s Kitchen : Peux-tu présenter à la fois ton magasin, ta marque, et tes nombreuses collaborations entre Sugar Cane et J.Crew? Comment tout cela a commencé ?

Christophe Loiron : J’ai toujours voulu faire ce qui me plaisait. Le fait d’en vivre est venu avec. Depuis que je suis gamin, je chasse au trésor. Je récupérais pleins de bidules dans les poubelles et je ramenais ça à la maison. Je démontais/remontais/peignais etc…J’ai donc eu la mauvaise manie de récolter des vieilleries très tôt.

Bref, j’ai fini par ouvrir un magasin quand le Japon était à fond dans le vintage, milieu des années 1990. Comme ça me saoulait de suivre les modes, j’achetais beaucoup de choses qui m’inspiraient mais n’étaient pas encore ‘hot’ et demandées. J’ai vite eu beaucoup de stylistes comme clients (les équipes de Ralph Lauren, GAP, Abercrombie & Fitch, J.Crew etc…), qui devaient être en avance de 2 ans sur la mode pour dessiner les collec’.

Un beau jour, j’ai été approché par les gens de Sugar Cane pour faire une paire de jeans en collaboration. Je fais le design et eux ils manufacturent. J’ai fait un espèce d’OVNI from scratch, bien loin d’un 501, qui a bien plu: Le MFSC7161. Aujourd’hui ce modèle est pas mal recherché par certains «denim head» bloggers. Il n’y en a eu que 248 de produits. J’avais combiné trois toiles de denim différentes sur une même paire. Le concept était que, début des années 1930, un gars (fictif) s’était cousu son jeans pour aller travailler à la mine le lendemain. Il s’était servi de bouts de toile qui traînaient.

Résultat : denim mismatch/zigzag stitching… vraiment homemade.

Après ce premier essai, Sugar Cane m’a demandé de faire une collection complète. C’est là que j’ai inventé une autre petite histoire pour donner du fond à la collec’ : un marin de la Marine marchande en campagne embarqué de 1936 à 1946. Il avait fait le tour du Monde (de San Pedro à Yokohama…) et, à chaque escale, se faisait faire ses fringues custom-made par le tailleur de la base navale…Je voulais faire des choses qui n’avaient pas existé, mais qui auraient pu. Du possiblement correct, ou historiquement plausible, et pas juste « inspiré par le vintage », comme tout le monde.

C’était parfait pour Sugar Cane qui était cantonné jusque-là dans le replica/copie workwear et militaire. Mes scenarii donnaient un coté historique aux collections, tout en ouvrant les portes à des choses fraîches, pas du refait. Je ne « refais » rien, il y a plein de gens qui se spécialisent dans ça, et qui le font très bien. Si une pièce est rare, je porterais ça en vintage.

Avec ces pirouettes, Mister Freedom a eu pas mal de presse au Japon d’abord, puis US et fait quelques vagues dans les blogs. A l’époque, il n’y avait pas vraiment de compétition dans ce même domaine.

Puis Mickey Drexler, visionnaire et CEO de J.Crew a frappé à la porte un jour, pour voir d’où venait le buzz. Il ouvrait une nouvelle boutique concept à NYC, le « Liquor Store » où il offrait un mix de J.Crew, Red Wing,, Levi’s etc…

Un « Men’s Store ». Il a voulu tester avec du Mister Freedom pour Sugar Cane et du Mister Freedom, et ça a tout de suite marché. Ca a donné à Mister Freedom beaucoup de crédibilité auprès de gens qui ne seraient jamais rentrés dans mon magasin avant ça.

Hell’s Kitchen : Tu pourrais me définir ton univers et celui de tes projets (musique, film, art, icône, etc.) ?

Christophe Loiron : Mes projets seraient de prendre un jour de congé !

Depuis sept ans, sept jours sur sept, à raison de dix, douze heures par jour, ça fatigue son homme…

D’ici la, je veux continuer à faire des fringues que je veux porter. Si ça se vend, tant mieux, sinon, ça me fera une belle garde-robe!

J’aimerais aussi me remettre à jouer de la musique et prendre plus soin des gens que j’aime. Je suis cassé en huit quand je rentre à la maison et je n’ai plus d’énergie pour faire quoi que ce soit. No fun…

J’ai une idée a la seconde, et je n’aurai jamais assez d’une vie pour tout faire. Il faut que j’accepte. On est pas mal dans ce bateau là… Trouver la balance, c’est là la clef. Moi cette clef, j’ai dû la perdre !

Hell’s Kitchen : De quel œil vois-tu le retour de ce style depuis quelques temps, en tant que pionnier du genre? Ça te surprend que finalement on passe d’une mode masculine presque androgyne, à une beaucoup plus virile? Comment expliquerais-tu ce gain d’intérêt?

Christophe Loiron : Je suis content que l’on revienne sur une mode plus masculine, moins androgyne. Même si je me contre-tape de la mode, éphémère, je préfère voir des gens bien sapés quand je fais mes courses, que des gars avec des vilains t-shirts Ed Hardy et jeans poches arrières « ambiance Dubaï »…L.A. est assez déprimant pour ça.

Ce renouveau pour les marques/styles classic US a certainement une origine dans la prise de conscience de certains consommateurs américains que tout ce qu’ils retournaient était «made in China»… De la tasse à café jusqu’aux t-shirts. D’où volonté de vouloir revenir à un temps où l’Amérique était connue pour autre chose que la guerre en Irak…

Pour certains Américains, il était temps de se retrouver autour du «old glory», comme ils savent si bien le faire sous la menace…De là à vouloir porter de nouveau des «clothes that built America », il n’y a qu’un pas.

Le revival workwear est assez paradoxal parfois. Ceux qui peuvent s’en offrir du beau aujourd’hui, sont bien loin du farmer dans le «Dust Bowl» des années 1930. Le riche veut faire le pauvre, le look «je sors de la mine». Quant au pauvre, il est avec sa copie de sac Vuitton…

Hell’s Kitchen : Finalement, pour toi, est-ce plus un mouvement de fond ou un simple feu de paille, cette injection de testostérone dans la mode masculine?

Christophe Loiron : Pour moi, prédire la mode a autant d’intérêt que le bulletin météo de mardi en six. Pour beaucoup de papy comme ma pomme, ce revival est du réchauffé, mais pour certains gamins, une chemise chambray avec chin-strap, c’est du jamais vu. C’est bien d’apprendre ses classiques.

Pour la testostérone, je suis sûr que les filles, à choisir, préféreraient sortir avec Steve McQueen que Boy George….

Les Japonais ont beaucoup œuvré, semble-t-il dans ce renouveau, tout comme toi, finalement, comment se-fait ce selon toi, que ce soit des étrangers qui aient ramené ce style typique sur le sol américain? Qu’est-ce qui te fascine en définitif dans le style des travailleurs américains et dans les produits fabriqués aux USA?

Les USA, de part leur courte Histoire, ont toujours été tournés vers le futur et ont été anti-passéistes.

À peine sorti du moule, un objet est customisé illico par son proprio ici. Même un soldat va customiser son uniforme : les « liberty cuffs »…

La nouveauté/création/improvisation, c’est ça qui a fait la force du pays en seulement 400 ans d’existence. Et c’est pour ça que le Monde a toujours les yeux tournés vers les US pour ce qui est populaire. Dans la mode, musique etc…

Le revers de cette attitude, c’est qu’à force de regarder devant, on oublie derrière. On veut faire le futur et on oublie son Histoire. Et parfois, le mieux est l’ennemi du bien et «less is more»…Il n’est pas toujours nécessaire d’améliorer les choses d’après moi.

Cela demande parfois un «wake-up call» de l’extérieur pour se réveiller. Les Japonais tournent depuis le milieu des années 1980 pour ramasser du vintage US. Au début des années 1990, dans mes chasses au dead-stock au fin fond du Texas ou de l’Oklahoma, je suis souvent passé après un acheteur japonais, déjà sur le coup cinq ans avant. Ca fait plaisir de ramasser les miettes après cinq heures d’avion et dix heures de route!

On me demande souvent comment un gamin japonais peut collectionner, et surtout porter, par exemple, un flight jacket Type A-2, qui, soixante ans plus tôt, était sur le dos de Mr. Smith, pilote de l’US Air Force, qui droppait ses bombes sur la famille Suzuki, ses grands-parents… Culte bizarre, en effet. En France, depuis 1945, on porte rarement le casque à pointe.

Les Européens ont aussi pas mal œuvré pour mettre le style US sur un piédestal, et raviver l’intérêt des géniteurs originaux.

Il y a dix ans, Levi’s USA n’était pas très concerné par des produits qu’ils avaient DEJA vendu…Aujourd’hui ils rachètent leurs vieux modèles sur eBay ou aux puces pour leurs archives, et ils ont LVC, qu’ils viennent de centraliser à Amsterdam…Avec l’ancien boss de RRL aux manettes !

Hell’s Kitchen : En tant que revendeur et en tant que créateur (ou re-créateur, peut-être) de vêtements, comment le consommateur de workwear made in USA a-t-il évolué depuis le début de ton magasin? Qu’est-ce qui les intéresse dans ce genre de produits? La qualité? Une production plus proche? Un retour aux sources? Autres choses?

Christophe Loiron : Il y a deux écoles: Les «Denim Heads» et ceux qui surfent la vague. Les premiers suivent ce qui se passe au Japon depuis quelques années. Tout ce trip replica et ses retombées. Les autres découvrent. Il y a des gamins qui s’habillent comme s’ils sortaient des champs de coton sans trop savoir pourquoi, juste parce que ça démarque.

Je ne sais pas si tous ont conscience du caractère historique d’un « buckle back » jeans, du temps où on ne s’achetait pas une paire à chaque changement de régime ou de mode. Tu perds du poids, tu serres la martingale.

Dans les blogs, on parle souvent de «well made» et d’attention aux détails. C’est bien d’être conscient de ça, au moins. Aux USA, dans les années 1920-1940, beaucoup de vêtements étaient faits par des immigrants, tailleurs de formation, qui avaient fui l’Europe. On s’appliquait dans son boulot, et on était fier du résultat.

Malgré ce petit mouvement encore un peu élitiste, la plupart des gamins, aujourd’hui, se ruent principalement vers les géants de l’abattage à petit prix, genre H&M, qui se permettent de sortir du «designer» à 40€. La formule est facile : les acheteurs scrutent les défilés et les petits designers, trient les tendances et extraient les produits qui sortent du lot, puis font faire fabriquer ça en Thaïlande ou Chine en trois mois. Ils coupent ainsi tous les frais de développement et recherche d’un travail de deux ans, et ils ont un produit qui est disponible au parfait moment pour les hordes qui les voient dans les magazines de modes. Les gamins sont contents car ils peuvent avoir le jeans qui va bien pour 70€…Tout un racket…

Hell’s Kitchen : Comment ça se passe aujourd’hui lorsqu’on veut produire aux Etats-Unis ? Il y a encore le savoir-faire, le matériel pour créer ces vêtements ? Ce n’est pas trop compliqué ?

Christophe Loiron : Faire aux US est un vrai casse tête. Tous ceux qui essayent ici ont des histoires d’horreur. Comme ce gars d’une boite connue qui avait acheté du premium selvedge denim japonais et qui a fait cut/sew des centaines de paire localement. Le jour de la livraison, l’usine avait coupé toutes les « red lines » et fait un overlock…plus propre. Tout à la poub’.

Ici, les usines ont eu le savoir-faire, mais n’ont plus certaines machines et ont d’autres choses a faire.

Maintenant je suis complètement parano, et j’ai presque envie de dormir à l’usine quand je fais des choses à L.A. ! Il faut tout suivre de A à Z pour éviter les mauvaises surprises.

C’est pour ça que je fais encore beaucoup de choses au Japon. Pour certaines pièces de Mister Freedom pour Sugar Cane, on utilise des machines dont les pièces détachées sont introuvables. Si ça pète, la production devra s’arrêter.

Mais je travaille sur le «made in L.A.», car je crois, utopiquement, en l’économie locale…J’achète des tomates de Californie, ça me fait mal de manger des trucs qui viennent par avion puis camion de d’Afrique du Sud, alors qu’il y en a des champs entiers dans le county d’a coté….

Hell’s Kitchen : Les patrons que tu crées pour tes vêtements, ce sont encore des patrons avec la coupe de l’époque ou est-ce que tu as ajusté en fonction des goûts/gabarits d’aujourd’hui ?

Christophe Loiron : Ce que j’emprunte à l’Histoire est assez divers. Parfois une poche, une toile, une coupe, une silhouette… Parfois, d’une vieille photo trouvée aux Puces se dégage une ambiance, un contexte, et ça me suffit pour démarrer. Je mélange tout ça dans mon shaker Mister Freedom et ça donne des choses qui n’ont pas existé mais qui ont « a very old soul ». Si je m’inspire d’un patron (par exemple d’un US Navy Peacoat de 1910), je revois tout. Je ne re-actualise pas la coupe pour la rendre plus fashion, mais je recoupe pour que ça m’aille! Avec le militaire par exemple, l’homme de troupe en 1940 avait 17-20 ans, sec comme un kéké, après boot camp. Papy n’a plus son corps de jeune fille, mais j’aime le côté «fitted» des chemises et vestes. Pour les pantalons, je me sers toujours d’un dégaine que j’ai en tête (mélange de films, vieilles photos et pièces vintage…), pas d’un patron original. Un trip 1930’s naval va m’amener à d’autres choses qu’un plan McQueen aux International Six Days Trials en 1964…En parlant de McQueen, il était aussi connu pour amener ses propres fringues au tournage, ou au moins à les faire retailler ou custom-made. Son USAF chino dans « The Great Escape » n’a rien d’une coupe réglementaire, beaucoup plus slim. Tu compares avec celui de McArthur en 1944, pas le même combat ! Mais je pense qu’un truc bien fait va à tout le monde : un original Levi’s 501 allait aussi bien a Marilyn qu’à Brando. Le même patron pour deux châssis différents et tu fais baver des générations…Quant aux goûts d’aujourd’hui, je m’en préoccupe peu car ils manquent encore d’avoir « fait ses classes ». C’est moins ridicule, pour moi, de porter une coupe années 1920 ou 1950 qu’un truc fashion d’il y a 3 ans. Une nana est sexy si elle porte un low waist dans un trip gogo dancer, mais pas si c’est pour suivre le Marie Claire de Juillet. Surtout si ça ne lui va pas. Enfin, chacun sa croix…

Hell’s Kitchen : Quelles sont les raisons qui font que MF est si cher justement, puisque tu parles de ces bourgeois s’habillant en farmer des Raisins de la Colère? Capacité de production? Sourcing matières?

Christophe Loiron : Et où elle mangerait ma pomme, si c’est pas à la Tour d’Argent ?

Je rigole, vaste sujet…

Pour moi les bonnes choses se payent. L’étiquette d’une marque prestigieuse ne suffit pas non plus à justifier des prix élevés, si le produit ne suit pas. Un truc de marque fait en Chine pour trois francs six sous qui coûte la peau de l’œil en magasin à cause de l’étiquette: iznogood…Mais une veste qui a pris deux ans de recherche pour arriver au consommateur, tissages spéciaux, études, des dizaines de proto’, modif’, efforts d’une chaîne de gens qualifiés…ça se paye en bout de course. Sinon tout le monde plie boutique.

Même si Mister Freedom commence à avoir une bonne réput’, j’ai toujours le compte au rouge et conduit le même vieux camion depuis quinze ans. Je ne veux pas faire ma Cosette, mais je ne me sens pas Madoff non plus.

Quand je fais une veste, j’ai le défaut de peu me soucier si la manche va prendre une heure à coudre ou si la boucle doit venir d’un vieux stock au fin fond d’un entrepôt du Texas (d’un vieux qui ne veut pas vendre !)…Je le fais à fond, pour que ça soit assez bien pour ma pomme. Après, on additionne. Et ça fait souvent mal, c’est vrai! Il y a des gamins qui économisent six mois pour acheter un jeans Mister Freedom. J’aimerais ne faire payer que ceux qui peuvent, mais j’ai besoin de payer mes factures aussi. Et j’ai des frais fixes super importants. Je fais très peu de marge.Avec une vraie marge, une veste MF coûterait 3000$ en magasin. Ma satisfaction est dans le fait que certaines personnes que j’estime apprécient les efforts et se sentent bien quand ils portent ces sapes. Ca parait bête, mais quand un type me dit qu’on l’arrête dans la rue pour lui demander ce qu’il porte et où le trouver, j’ai l’impression de faire ma BA. Et si c’est une belle nana qui l’a arrêté, c’est le rombier qui est très content…Je n’utilise pas de overlock pour les coutures intérieures, toujours du lapseam. Tu peux « retourner la veste » et ça a de la gueule. On me demande parfois si mes trucs sont réversibles!

Chaque pièce a toujours une tonne de détails qui ont tous une origine explicable et, un sens, pas juste pour faire joli…Je ne coupe pas les coins (cut corners), sinon on obtient un rond quand on veut faire un carré. Souvent le tissus que j’utilise me coûte plus cher que le prix au détail d’une pièce finie chez H&M. Je peux avoir 40$ de denim dans un peacoat…Tu rajoutes l’édition souvent limitée à environ trois cent cinquante pièces (donc pas de profit sur la quantité), avec le moment où l’usine te dit que c’est trop difficile à faire et que les minima ne sont pas atteints. Je me demande encore comment j’arrive à sortir des frusques. Parfois j’ai l’impression d’un vrai complot! Ca serait plus simple de faire de la drouille avec des dragons à trois francs, mais je résiste ! Au début, les gens trouvaient Mister Freedom pour Sugar Cane cher et se demandaient pourquoi. Aujourd’hui j’ai moins à expliquer. Mister Freedom est toujours relativement cher (par rapport aux mega-chaines qui font affaire à l’île Maurice, ou aux «vêtements jetables» de certains margoulins), mais le gars sait que son fils sera fier de porter ça dans 20 ans. Il préfère avoir deux belles vestes qu’il est fier de porter, que dix de clown qui vont finir chez Emmaüs dans un an.