For The Discerning Few
Avez-vous remarqué que Abhras Style n’est plus en ligne depuis plusieurs semaines ? Or on dit souvent que la nature à horreur du vide. Ce n’est pas donc une surprise si For The Discerning Few, un autre blog consacré au menswear que l’on aime beaucoup, reprend de l’activité.
L’occasion pour nous d’en savoir plus sur ses deux co-fondateurs, Virgile Mercier et Pierre-Antoine Lévy.
Pourriez-vous vous présenter ?
Nous sommes deux trentenaires, amis depuis une vingtaine d’années, et nous disposons tous les deux d’une dizaine d’années d’expérience dans le secteur à des postes différents.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas For The Discerning Few, c’est quoi ? Quand a-t-il été créé ? Dans quel but ?
FTDF est un blog que nous avons créé en 2010 , à l’époque où nous étions encore étudiants et passionnés par le menswear. Le nom nous a été inspiré par ce qui était jadis un statement d’Edward Green : « The finest shoes in England for the discerning few ». Il ne s’agit pas d’être élitiste ou d’exclure qui que ce soit mais simplement de reconnaître que la majorité des gens n’accordent qu’assez peu d’importance au sujet que nous traitons.
En créant ce blog, notre intention était principalement de mettre en avant des produits et des personnes pertinentes tout en nous créant un petit réseau. C’est sans doute le fait de proposer des interviews de professionnels du secteur qui a permis à FTDF de se distinguer rapidement. En effet, que ce soit sur les blogs ou les forums dominants de l’époque, le point de vue des professionnels n’était que très rarement sollicité.
Initialement, le tailoring était le thème principal du blog mais assez rapidement nous avons élargi le sujet en évoquant les autres piliers du vestiaire masculin que sont le vêtement militaire, le workwear et le sportswear.
Pourriez-vous revenir sur vos expériences dans la mode ? Est-ce que FTDF a facilité les choses ?
Virgile : Pour ma part, après avoir travaillé quelques années en audit, j’ai participé au développement de l’activité wholesale de plusieurs marques italiennes. À la suite de cela, je suis parti à Londres pour finaliser un diplôme au London College of Fashion, avant de travailler chez Trunk Clothiers puis pour le bottier français Corthay. À mon retour en France, j’ai d’abord pris la direction du flagship de la marque de souliers Heschung avant de devenir responsable retail de la marque. J’ai ensuite quitté momentanément le menswear en devenant responsable de la coordination retail Europe du joaillier Chaumet.
L’expérience du blog a été utile dans la mesure où elle m’a permis d’acquérir des compétences et surtout de bien connaitre les acteurs du secteur.
PAL : En dix ans, j’ai travaillé à tous les niveaux de la supply chain. J’ai commencé dans le retail, puis j’ai fait du wholesale. J’ai par la suite fait du marketing et du développement produit et de la gestion de production.
FTDF a eu un impact positif au début de ma carrière mais sur les dernières années cela n’a pas été un facteur. En revanche, je me sers régulièrement de certaines connaissances acquises grâce au blog directement ou indirectement.
Pourquoi avoir arrêté le blog alors que les visites et la notoriété étaient en pleine croissance ?
Il est toujours délicat de se remémorer avec précision l’état d’esprit qui nous habitait plusieurs années en arrière, mais l’arrêt du blog résultait d’un ensemble de choses.
Ce que nous pouvons dire c’est qu’il y avait une certaine usure et une volonté de nous concentrer sur nos carrières respectives. Il nous a donc fallu faire des choix car produire un contenu de qualité demande du temps et nous n’avions pas pour ambition d’être des blogueurs professionnels.
En effet, les moyens de monétisation directs disponibles à l’époque ne nous correspondaient pas. Il s’agit toujours de la même chose, développer une relation de confiance avec une audience et ensuite en vendre l’accès à autrui. Rapidement, on risque de se mettre à parler de choses dont on n’aurait spontanément jamais parlé. Ça peut donc virer au grotesque très vite. À l’origine, internet devait permettre de gagner en transparence et en liberté de ton par rapport à des médias traditionnels soucieux de faire plaisir à leurs annonceurs, mais si on se penche aujourd’hui sur les influenceurs, il est difficile d’affirmer que la promesse a été tenue.
Une autre option de monétisation consiste à développer ses produits et à essayer de les vendre à son audience. C’est ce qu’a fait Bonne Gueule avec succès et c’est sans aucun doute plus honnête comme démarche. Mais c’est beaucoup plus risqué, a fortiori avec un positionnement prix élevé. Par ailleurs, même avec ce modèle plus vertueux, on constate des catastrophes qui s’expliquent par le fait que les gens manquent d’expérience, de professionnalisme ou sont, dans certains cas, tout simplement des escrocs.
Quoi qu’il en soit, à l’époque, nous avons considéré plus judicieux de continuer notre développement professionnel en mettant en suspens FTDF sans tirer officiellement notre révérence.
Corollaire de la question précédente : pourquoi avoir décidé de le relancer ? Avez-vous un objectif clair ? Parle-t-on encore de “blog” ?
L’appellation « blog » n’est pas infamante selon nous. S’agissant de nos objectifs, ils sont assez semblables à ceux que nous avions initialement. Il s’agit d’informer et de distraire.
Informer en mettant en avant des produits et des personnes intéressantes du secteur, ignorés la plupart du temps par les médias traditionnels, et cela afin d’aider nos lecteurs à mieux lire le marché et à faire des choix plus avisés en tant que consommateurs.
En effet, pour un consommateur, faire un bon choix, à défaut de faire le bon choix, demeure le problème numéro un. Or, plus l’offre est pléthorique et plus il risque de se tromper et d’être déçu car cela demande de s’informer davantage ce qui nécessite du temps. Il est donc bon de pouvoir s’appuyer sur des suggestions de personnes avisées à même de vous faire découvrir certaines choses.
En outre, il s’agit également de distraire car même si nous souhaitons le traiter avec une certaine rigueur, le sujet qui nous occupe n’est pas d’une exceptionnelle gravité.
En principe, forts de l’expérience acquise au cours des cinq dernières années, nous devrions être en mesure de produire un contenu de bonne qualité.
Allez-vous refaire des photos de “looks” ?
Très vraisemblablement non. Au-delà du fait que ce n’est pas un exercice qui nous plaît, nous doutons que ce type de contenu ait une valeur ajoutée au regard de ce qui est déjà disponible à l’heure actuelle. En effet, si des personnes ont encore besoin de sources d’inspiration, elles peuvent se rendre sur Instagram et assouvir ce besoin.
Ce n’est pas là-dessus que nous souhaitons (re)construire notre légitimité. Nous ne souhaitons pas refaire des billets expliquant comment porter telle ou telle pièce. Nous pouvons éventuellement suggérer ou, si nous sommes sollicités, conseiller mais nous pensons qu’il est bon que les gens fassent leur cheminement eux-mêmes.
Quelles sont vos marques préférées ? Pourquoi ?
Virgile : Concernant les vêtements, j’apprécie particulièrement les pièces vintage notamment pour les pièces à manche type manteau ou blouson. Plus globalement, je dois dire qu’il y a toujours des pièces intéressantes chez Uniqlo ; un client en recherche de casualwear n’y fera généralement que peu d’erreurs tant les collections sont bien réalisées. Les marques Camoshita et Gitman Vintage correspondent également à mon style même si on pourrait disserter des heures sur le rapport qualité/prix. Pour les chaussures, ma marque fétiche est Crockett & Jones depuis plus de 10 ans et ça n’est pas près de changer.
PAL : Il y a beaucoup de marques qui font encore de bonnes choses mais je n’ai pas d’attachement particulier pour quelque marque que ce soit. Ce qui m’intéresse c’est le produit et pour le choisir que ce soit pour moi-même ou pour conseiller quelqu’un, les questions que je me pose sont toujours les mêmes. Qu’est-ce que je recherche ? Pour quelles circonstances ? Quel budget ? Neuf ou pas ? Ce n’est qu’à partir de là que je peux me prononcer sur les marques qu’il convient de considérer.
Dès lors que l’on reste dans du classique, il est plus simple d’avoir des certitudes quant à la pertinence d’une Maison pour ce qui est des chaussures que pour ce qui est des vêtements. En effet, les marques sérieuses de chaussures ont beaucoup moins cédé à la tentation de la diversification que les marques de vêtements. Il est donc plus aisé de rester fidèle à une marque de chaussures dès lors que celle-ci n’opère pas des changements sur ses modèles en permanence.
En revanche, pour des raisons commerciales, les marques de vêtements tendent pour la plupart à devenir généralistes ce qui fait qu’elles ne sont malheureusement plus spécialistes de rien. On se retrouve donc avec beaucoup de produits dont on pourrait faire l’économie.
Quid des marques dites de Luxe ?
C’est un sujet complexe qu’il faudrait traiter en long et en large. Si on pense aux marques qui appartiennent aux grands groupes de luxe français, il y a du positif et du négatif mais tout dépend de quoi on parle.
Si on ne considère que le produit en se mettant dans la peau d’un consommateur qui n’est pas en recherche de statut, on peut sans doute cesser de débattre de leur pertinence assez rapidement. Cela dit, le consommateur averti n’est pas ou plus leur cible dans la plupart des cas. Ce n’est pas chez lui qu’elles souhaitent susciter le désir.
Par ailleurs, si on considère ce que ces marques apportent au-delà des produits qu’elles mettent en vente, il y a des aspects positifs qui impactent l’ensemble du marché et des consommateurs à différents niveaux.
Sans rentrer dans les détails, ces Maisons jouent, par exemple, un rôle dans la préservation et la transmission de certains savoir-faire notamment parce qu’elles ont eu tendance à intégrer davantage leur production au cours des derniers années. Les innovations qui résultent des demandes complexes qu’elles soumettent à leurs fournisseurs, bénéficient généralement à l’ensemble du marché. Il en va de même pour les best practices qu’elles sont en mesure d’imposer aux fournisseurs et à ce titre elles vont jouer un rôle important concernant la responsabilité environnementale. Elles fixent également les standards concernant le service client, etc. En bref, du fait de la taille de leur opération, elles peuvent faire bouger les lignes de l’ensemble du secteur.
Quels sont vos blogs menswear préférés ? Blog au sens large : un site internet, un compte Instagram ect.
Die Workwear de Derek Guy est très bon. Blamo!, le podcast de Jeremy Kirkland est souvent intéressant également. Tout comme HandCut Radio d’Aleks Cvetkovic. Il y a sans doute encore beaucoup de gens qui font du bon travail mais que nous ne sommes pas en mesure de citer.
De votre point de vue, comment a évolué le menswear depuis le lancement de FTDF ? (dans la blogosphère et sur l’Internet de manière général)
FTDF a été lancé durant la période #menswear. Ainsi, à la suite de la crise financière, la mode masculine s’est recentrée sur ses fondamentaux et donc sur le tailoring. L’ivy league et le preppy étaient également prépondérant à cette période. À côté de cela, le style heritage/workwear était aussi très fort. Tout cela était en phase avec les discours résultant de la crise du type « buy less, buy better » qu’on entend à nouveau aujourd’hui. Il y avait un regain d’intérêt pour le travail des artisans, etc. Cette tendance a tenu quelques années avant de s’essouffler, le mouvement de fond de casualisation de l’avant crise a repris le dessus et les dernières années ont clairement été dominées par le sportswear au sens large et dans une moindre mesure le vêtement technique/outdoor. Il y a une plus grande attention qui est prêtée aux textures et à la cohérence des palettes de couleurs. L’exubérance a été délaissée au profit de plus de subtilité.
En outre, on constate que le vintage est sur le point d’exploser et de se démocratiser notamment chez les jeunes qui consomment différemment et pour qui il est désormais naturel de revendre des affaires pour en financer de nouvelles. Cela semble être une bonne chose.
Paradoxalement, même s’il y a une certaine uniformisation du fait d’internet, il semble que les gens ont davantage de style personnel aujourd’hui qu’il y a dix ans et qu’ils sont plus à l’aise avec le fait que celui-ci puisse évoluer avec le temps.
Est-ce que tout a déjà été dit sur le sujet ?
Beaucoup de choses ont déjà été dites donc on pourrait croire que c’est le cas mais cela est sans doute erroné. Si on se restreint à un tout petit périmètre, on risque effectivement d’avoir rapidement la sensation de tourner en rond. Mais en prenant du recul, il apparaît que le menswear est un sujet dynamique et multidimensionnel qui peut être traité aussi bien en regardant en arrière qu’en regardant vers l’avant. Nous sommes loin d’avoir fait le tour.
Pensez-vous que les blogs écrits ont encore un avenir ? Comptez-vous ouvrir une chaîne YouTube ?
Les blogs écrits sont sans doute moins en vogue qu’ils ne l’étaient auparavant mais dès lors que le contenu est de qualité et qu’il est relayé convenablement sur les réseaux sociaux, il semble possible de trouver son audience.
La création d’une chaine YouTube ne fait pas partie de nos projets pour le moment. Cependant, nous ne l’excluons pas et nous allons sans doute explorer d’autres supports comme le podcast qui semble bien se prêter à ce que nous souhaitons faire
Pour finir, une question plus ouverte, auriez-vous un livre, un film, un artiste...à nous conseiller ?
Virgile : Rien à voir avec le sujet qui nous occupe : Al Green, toute sa discographie, que je (ré)écoute actuellement dans de bonnes conditions, étant amateur de Hifi.
PAL : En lien avec le sujet, Comment doit-on s’habiller, d’Adolf Loos pour sa critique de l’ornement. Également des Modes et des Hommes de Farid Chenoune si vous parvenez à mettre la main dessus.